Le granit noir du Zimbabwe, un produit de luxe qui suscite la convoitise

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à Mutoko, le 8 février 2010 (Photo : Desmond Kwande)

[12/03/2010 12:59:49] MUTOKO (Zimbabwe) (AFP) Une détonation résonne: une fissure se dessine à la surface du précieux granit noir. Sans prêter garde à l’onde de choc, une chèvre poursuit son chemin vers les huttes situées en contrebas de la carrière, dans une des régions les plus pauvres du Zimbabwe.

Les décorateurs européens s’arrachent ce granit noir, dont la couleur est d’une intensité incomparable. Fierté nationale, il a servi à édifier le monument des héros de l’indépendance et orne l’aéroport de Harare.

En 2009, le pays a exporté 95% de sa production, soit 150.000 tonnes. Découpée en tranche fine, cette pierre se vend à un prix-producteur de l’ordre de 600 dollars le mètre carré.

Une somme qui dépasse l’entendement dans la région de Mutoko (nord-est), où se trouvent les gisements de granit. Les collines y sont peu propices à l’agriculture et la zone, longtemps classée comme “réserve africaine”, n’a jamais été industrialisée.

Sans emploi pour la plupart, les villageois regardent avec convoitise les blocs de pierre partir en camion vers Harare, avant de rallier en train le port de Beira au Mozambique puis les centres de polissage italiens.

“Les gens disent +regarde ce qu’ils font là-haut, regarde leurs équipements, ils gagnent beaucoup d’argent. On devrait en profiter+”, rapporte Carrington Nyamajiwa.

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évrier 2010 à Mutoko (Photo : Desmond Kwande)

Cet instituteur travaille au pied de la carrière gérée par l’entreprise Natural Stones Export Company (NSEC) qui a construit son école. Le quadragénaire lui reproche de ne pas l’entretenir: “ils essaient d’aider, mais quand on voit la taille de l’entreprise, ce n’est pas assez.”

“Le gâteau n’est pas assez gros”, répond le Zimbabwéen Dave van Breda, directeur de NSEC, qui se targue d’avoir dépensé près de 200.000 dollars en oeuvres sociales (bourses scolaires, aide aux transport, réparation de puits…) en 2009.

Son entreprise a également financé la remise en terre de vétérans de la guerre d’indépendance. Dans les années 70, les environs ont été un haut-lieu des combats contre le régime raciste de Rhodésie du Sud et restent un bastion du président Robert Mugabe, au pouvoir depuis 1980.

“Dans une région comme celle-ci, si vous n’avez pas les communautés locales de votre côté, vous ne pouvez pas travailler”, explique M. Van Breda.

Ses concurrents les plus autarciques n’ont d’ailleurs pas survécu. “A l’heure actuelle, la plupart des carrières ont fermé”, explique Rangani Nyangoro, un ouvrier de 32 ans.

Lui s’estime chanceux d’avoir décroché un emploi chez NSEC malgré son manque de qualification. Il est payé 120 dollars par mois, contre 150 pour les fonctionnaires. “Ce n’est pas assez…”, glisse-t-il pourtant, reprenant le credo de rigueur dans les environs.

“C’est normal que les communautés se tournent vers nous: elles voient leur héritage partir à l’étranger et n’en profitent quasiment pas”, admet M. Van Breda.

Pour lui, le tort revient au gouvernement du président Mugabe qui a décidé il y a quinze ans de classer le granit noir comme minerai et non plus comme pierre. “Avant, on négociait avec les conseils locaux et on leur payait les impôts. Depuis 1995, les royalties vont à l’Etat, ce qui pose un problème parce que cet argent ne revient pas aux communautés”, dit-il.

Partageant cette analyse, l’Association de droit environnemental au Zimbabwe (Zela) milite pour qu’une partie des impôts soit reversée localement.

“Les communautés souffrent des pollutions générées par les carrières, elles devraient aussi bénéficier de ses richesses”, insiste son directeur Mutuso Dhliwayo.