à Rangoun (Photo : Str) |
[14/03/2010 15:48:57] BANGKOK (AFP) La junte birmane a entamé un vaste programme de privatisation d’entreprises publiques, soulevant des interrogations sur ses objectifs, entre nécessaire réforme économique et besoins de liquidités avant les premières élections depuis 20 ans, attendues à la fin de l’année.
Les généraux, exposés à de sévères sanctions occidentales depuis plus d’une décennie, tentent de vendre au privé 250 stations-services dont 53 dans la seule ville de Rangoun, le poumon économique du pays, ainsi que des ports, des cinémas et des entrepôts, selon le bureau de la commission des privatisations.
Les médias gouvernementaux ont lancé un appel aux acheteurs potentiels pour que la distribution de carburant s’intègre “au secteur privé, en accord avec l’économie de marché”.
Et quatre des ports du pays ont été soumis à des appels d’offres afin de gérer leur activité actuelle et de maintenir les opérations sur la rivière Rangoun.
Le processus soulève des inquiétudes dans l’un des pays les plus pauvres du monde, riche en ressources naturelles mais qui peine à se relever de la politique d’inspiration socialiste de la junte au pouvoir jusqu’en 1988, et de la confiscation des richesses par celle qui lui a succédée.
à Rangoun, en Birmanie (Photo : Str) |
Plusieurs groupes birmans en exil accusent ainsi les généraux de vendre les entreprises publiques à des hommes d’affaires qui leur sont fidèles.
Le dossier est d’autant plus sensible que ce sont des décisions économiques qui ont provoqué les deux derniers soulèvements populaires en Birmanie.
En 2007, une augmentation brusque et imprévue des prix de l’essence avaient déclenché la “révolte safran”, emmenée par les moines bouddhistes, et dont la répression avait fait au moins 31 morts. Le mouvement est considéré comme la plus forte menace contre le régime militaire depuis plus de 20 ans.
En 1988, c’est l’invalidation de billets de banque, décrétée par le pouvoir l’année précédente pour combattre le marché noir, qui avait provoqué des manifestations pro-démocratie.
Pour Sean Turnell, expert de l’économie birmane à l’université Macquarie de Sydney, en Australie, la junte veut remplir ses caisses avant les prochaines élections notamment pour acheter des soutiens.
“Mais il semble aussi y avoir un problème de liquidités”, estime-t-il.
La vente des ressources naturelles à ses voisins asiatiques, notamment la Chine, l’Inde et la Thaïlande, rapporte beaucoup d’argent. “Mais très peu entre en Birmanie car il est sous contrôle du numéro un et du numéro deux”, ajoute-t-il, en allusion au généralissime Than Shwe, homme fort de la junte et à son second, le général Maung Aye.
Surtout, l’analyste souligne combien ces privatisations pourraient révéler une certaine fébrilité autour de Than Shwe.
Agé de 76 ans, celui qui arrivé au pouvoir par la force et qui a depuis écarté plusieurs de ses adversaires sait qu’il doit sécuriser son avenir personnel à l’issue d’élections qui, même assurément gagnées par les militaires, n’entraîneront pas moins un renouvellement des générations.
“Même s’il est regrettable que des ressources qui appartiennent au peuple soient prises, c’est aussi le signe d’une certaine incertitude au sein des groupes au pouvoir”, estime Sean Turnell. “Peut-être ont-ils des doutes. Et c’est quelque chose que nous n’avons pas vu depuis longtemps”.
Aung Naing Oo, analyste politique birman basé en Thaïlande, confirme lui aussi que la vague de privatisations ne peut se comprendre qu’au regard de l’ensemble de la situation politique.
“Vu l’ensemble des mesures que le gouvernement a pris depuis six mois, y compris la privatisation, cela indique pour moi que les choses changent”, a-t-il expliqué à l’AFP.