Tunisie – Droit des Affaires : Code des Sociétés Commerciales, la virgule de trop ?

Par : Autres

Dans le cadre de la modernisation des textes législatifs tunisiens et de leur
harmonisation avec les réalités économiques tant nationales qu’internationales,
la loi n°2009–16 du 16 mars 2009 est venue modifier et compléter certaines
dispositions du Code des Sociétés Commerciales. Parmi les articles ayant subi
d’importantes modifications, on cite le «fameux» article 200 qui s’est vu ajouté
plusieurs nouvelles dispositions et divisé en quatre grands paragraphes dont un
paragraphe II traitant des opérations soumises à autorisation du Conseil
d’administration, à approbation de l’Assemblée générale des actionnaires et à
audit du commissaire aux comptes.

Et c’est justement un sous-paragraphe de cet article (paragraphe II-5) qui
suscite actuellement une grande controverse entre juristes et autres
experts-comptables et professionnels de l’audit.

Code des Sociétés Commerciales : la virgule de trop ?

Au cœur de cette controverse, une virgule qui, selon certaines lectures, se
serait inopportunément glissée dans la version française de l’article en
question. En effet, dans la version arabe du Code des Sociétés Commerciales, ce
paragraphe de la «discorde» est rédigé comme suit :

تخضع الالتزامات والتعهدات المتخذة من قبل الشركة نفسها أو من قبل شركة خاضعة
لرقباتها على معنى أحكام الفصل 461 من هذه المجلة لفائدة الرئيس المدير العام أو
المدير العام أو عضو مجلس الإدارة المفوض أو المديرين العامين المساعدين أو أعضاء
مجلس الإدارة والمتعلقة بأحد عناصر تأجيرهم أو منح أو امتيازات ممنوحة أو مستحقة
لهم أو قد يستحقونها بعنوان إنهاء مهامهم أو تعديلها أو بعد ‘نهاء مهامهم أو
تعديلها، إلى أحكام الفقرات 1 و 3 أعلاه.

Alors que dans sa version française, ce même paragraphe, et du simple fait d’une
virgule supplémentaire, pourrait s’entendre tout autrement. En effet, le texte
français stipule que «les obligations et engagements pris par la société
elle-même ou par une société qu’elle contrôle au sens de l’article 461 du
présent code, au profit de son président-directeur général, directeur général,
administrateur délégué, l’un de ses directeurs généraux adjoints, ou de l’un de
ses administrateurs, concernant les éléments de leur rémunération, les
indemnités ou avantages qui leurs sont attribués ou qui leurs sont dus ou
auxquels ils pourraient avoir droit au titre de la cessation ou de la
modification de leurs fonctions ou suite à la cessation ou la modification de
leurs fonctions, sont soumis aux dispositions des paragraphes 1 et 3 ci-dessus».

Une première lecture de la version arabe de l’article 200 pourrait laisser
penser que les éléments de rémunérations visés par le législateur sont ceux dont
a bénéficié le dirigeant ou ceux auxquels il est en droit de prétendre lors de
la cessation ou de la modification de ses fonctions. Ainsi, et sans que ceci ne
soit expressément précisé, ces dispositions viseraient à informer les
actionnaires des parachutes dorés (bien que peu répandus en Tunisie) que les
dirigeants sociaux seraient tentés de s’offrir, l’heure de départ venue.

Cependant, une lecture plus approfondie du texte pourrait remettre en doute, au
moins partiellement, ce raisonnement. En effet, en évoquant les traitements des
dirigeants soumis à autorisation, à approbation et à audit, l’article 200
susvisé parle des «éléments de leur
rémunération (عناصر تأجيرهم), les indemnités
(منح) ou avantages (امتيازات)». Or, et d’après l’usage, lorsqu’il est question
de départ d’un dirigeant ou de tout autre employé de la société, on parle, le
plus souvent, d’indemnité, de gratification, de récompense, voire de prime et
non pas de rémunération.

En réalité, le terme «rémunération» n’est pas très usité lorsqu’il s’agit de
gratification ou de tout autre avantage accordé à l’occasion de la fin du
service, et reste plutôt réservé au salaire et autres rétributions versés de
façon cyclique et répétitive.

De même, et en supposant que le législateur ne viserait que les traitements
alloués ou à allouer aux dirigeants en cas «de cessation ou de modification de
leurs fonctions», il aurait très bien pu se contenter des termes «indemnités» et
«avantages» uniquement sans évoquer l’expression plus généraliste des «éléments
de rémunération» (عناصر تأجيرهم). Cette hypothèse et d’autant plus soutenable
que la cessation des fonctions est synonyme de tarissement des revenus provenant
desdites fonctions, d’où le principe d’indemnisation.

Les deux types de rémunérations prévus par le Code des Sociétés Commerciales

Par ailleurs, le paragraphe II-5 de l’article 200 cite, entre autres personnes
dont les rémunérations devraient être divulguées, les administrateurs de la
société. Or, le Code des Sociétés Commerciales, dans ses dispositions traitant
du conseil d’administration, n’a prévu que deux types de rémunérations
auxquelles pourraient éventuellement prétendre les administrateurs, à savoir les
jetons de présence (article 204) et les rémunération exceptionnelles allouées
pour des mandats ou missions qui leur seraient confiés (article 205). De même,
l’article 206 précise qu’aucune rémunération, autre que celles prévues par les
articles 204 et 205 susvisés, ne pourrait être accordée aux membres du conseil
d’administration. Ainsi, et d’après ces articles, les administrateurs se
trouveraient, de fait, «privés» de tout avantage ou indemnité en cas de
cessation ou de modification de leurs fonctions.

Une lecture combinée des articles 200, 204, 205 et 206 du CSC conduirait à
conclure que les éléments de rémunération, les indemnités ou avantages soumis à
autorisation, à approbation et à audit devraient impérativement inclure les
rémunérations perçues par les administrateurs au titre des jetons de présence de
même que les rémunérations exceptionnelles prévues par l’article 205, si elles
existent.

Conséquemment, on ne peut s’empêcher de penser que si l’intention du législateur
était de limiter la visée des dispositions du paragraphe II-5 de l’article 200
du Code des Sociétés Commerciales aux indemnités et avantages perçus lors du
départ des dirigeants sociaux, il n’aurait probablement pas mentionné les
membres du conseil d’administration dans ledit paragraphe puisqu’ils ne peuvent
prétendre à ce type de rétributions, à moins que cela ne soit une erreur dans le
texte.

Partant de ce principe, il ne serait, probablement, pas raisonnable de continuer
à soutenir que le législateur viserait, dans la même phrase et, de plus, à
termes couverts, aussi bien les rémunérations actuelles des administrateurs que
les indemnités de cessation ou de modification de fonctions des autres
dirigeants. De ce fait, le paragraphe II-5 de l’article 200 viserait tous les
rémunérations, indemnités et avantages au bénéfice des dirigeants sociaux.

Rémunération des dirigeants sociaux : un tabou en Tunisie, un scandale en
Occident…

Au-delà, des développements précédents, et de part ma position de collaborateur
dans un cabinet d’audit exerçant essentiellement le commissariat aux comptes, il
me semble légitime de s’interroger quant au bien-fondé de l’obligation de
publication des différents éléments de rémunération des dirigeants dans le
rapport spécial du commissaire aux comptes comme le stipule l’article 200 II-5.

Cette interrogation est motivée à plus d’un titre parce que personne n’ignore
que la rémunération des dirigeants sociaux reste, jusqu’à aujourd’hui, un sujet
tabou en Tunisie et un objet de scandales en Ooccident (spécialement aux Etats
Unis). Alors pourquoi vouloir faire du commissaire aux comptes un «dénonciateur»
et le mettre ainsi en porte-à-faux vis-à-vis de ses clients qui, rappelons-le si
besoin y est, sont sa principale, voire unique, source de revenus ? N’aurait-il
pas été plus judicieux de prévoir l’obligation, à la charge des sociétés, de
publier les rémunérations de leurs dirigeants dans le rapport annuel du conseil
d’administration (qui, ne l’oublions pas, est soumis à la vérification du
commissaire aux comptes en vertu des dispositions de l’article 266 du Code des
Sociétés Commerciales) ? De plus, et nonobstant leur importance, n’est-il pas
inconvenant de rendre publics les revenus d’une personne (étant donné que le
rapport du commissaire aux comptes est appelé à circuler entre plusieurs mains)
?

Honnêtement, et bien que l’intention initiale du législateur soit tout à fait
salutaire, j’estime qu’il aurait été bien plus juste vis-à-vis des dirigeants
eux-mêmes et également vis-à-vis du commissaire aux comptes de prévoir
l’obligation de publier ces informations dans le rapport annuel du conseil
d’administration. Une telle disposition aurait été plus judicieuse puisqu’elle
aurait permis, à la fois, l’information des actionnaires (puisqu’en fin de
compte ce sont les premiers concernés), la préservation des revenus des
dirigeants des «regards indiscrets», ainsi que l’allègement des charges et
contraintes, déjà suffisamment importantes, qui pèsent sur le commissaire aux
comptes.