L’euro et la crise grecque vus par un trader d’un hedge fund

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à Paris, dans ses locaux donnant sur les Champs-Elysées, du PDG de Finaltis Denis Beaudoin (Photo : Eric Piermont)

[25/03/2010 11:56:46] PARIS (AFP) “Lorsque l’euro cotera 1,3355 contre le dollar, j’achète un million d’euros”, dit Didier Douls, trader dans un hedge fund à Paris. Comme d’autres traders dans le monde, il spécule sur l’euro, visant les meilleurs rendements possibles en minimisant les risques.

Ces hedge funds, dits fonds alternatifs ou spéculatifs, ont été accusés d’avoir amplifié les effets de la crise financière et économique mondiale depuis 2007. Et plus récemment, pour avoir spéculé sur la dette grecque et sur l’euro, au point que le G20 s’est engagé à les réguler, pour l’heure sans résultat.

“Aujourd’hui, les hedge funds n’ont pas les moyens de faire bouger un énorme marché comme l’euro”, assure Didier Douls, trader depuis 22 ans, rencontré à Paris peu avant le dernier accès de faiblesse de la monnaie européenne sur les marchés, passée momentanément jeudi sous 1,33 dollar.

En revanche, il admet que la spéculation sur la dette grecque, à laquelle il ne participe pas, contribue à la détérioration économique du pays.

Face à trois grands écrans d’ordinateurs, ce quinquagénaire en jean et chemise ouverte gère l’un des cinq fonds alternatifs de Finaltis, une société de gestion d’une vingtaine de salariés donnant sur les Champs-Elysées. Elle est l’un des rares établissements, sur la dizaine contactés par l’AFP, à avoir ouvert ses portes.

“Dans un monde où les dirigeants politiques et économiques ont nourri une crise qui a explosé, il faut trouver des coupables. On est les parfaits boucs émissaires: on est peu nombreux, on n’aime pas communiquer, on est souvent en dehors de l’establishment”, explique le PDG de Finaltis, Denis Beaudoin.

“En France, c’est encore pire car gagner de l’argent, c’est sale!”, déplore-t-il. Très peu de hedge funds sont installés en France, la plupart étant gérés à la City de Londres (70%) ou à Wall Street.

“Moi, je dis que je suis conseiller en investissement. Car trader ou gérant de hedge, c’est le diable. Les gens ne comprennent pas ce qu’on fait”, confie Didier Douls.

Le trader explique son travail: il achète et vend des devises, parie par exemple sur la baisse de l’euro face au dollar, spécule sur des “options”, c’est-à-dire le droit d’acheter ou de vendre de l’euro plus tard. Par ce mécanisme, il est possible de réduire la mise de départ et les pertes tout en maximisant les gains.

Un phénomène amplifié par la multiplication des robots informatiques qui ont fait exploser les volumes négociés en 10 ans. Le marché des changes brasse à lui seul près de 4.000 milliards de dollars par jour. “Certains vendent et achètent en quelques secondes et peuvent passer des dizaines de milliers d’ordres dans la journée”, précise-t-il.

“Le métier est devenu beaucoup plus scientifique” et la plupart des gérants sont des ingénieurs très diplômés, décrit M. Beaudoin. “Ils créent des modèles, les améliorent, les corrigent”, précise-t-il.

“Il y a 10-15 ans, on trouvait des agrégés de philo ou des maîtrises d’histoire. On parlait beaucoup. Aujourd’hui, on peut passer une journée entière sans parler à personne”, se souvient Didier Douls.

Cet ancien commercial conserve une “fascination” pour son métier qui va au-delà de “l’appât du gain”. “Quand on arrive à comprendre le marché, à en tirer profit, on a un petit peu l’impression de détenir un micro-savoir”, dit-il. Quitte à vivre dans le stress.

Après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en 2008, M. Douls se souvient avoir été réveillé jusqu’à six fois certaines nuits. “Car comme les banques ne se faisaient plus confiance, elles voulaient que je confirme par mails les opérations programmées par ordinateur. Et ce dans l’heure…”