Les allocations de risques entre opérateurs peuvent dériver vers des situations
inefficaces. L’outil mathématique peut les aiguiller vers des allocations
alternatives qui présentent plus d’équité. Le juste partage des risques peut
être approché mathématiquement, soutient Guillaume Carlier qui était parmi nous
pour une série de conférences à Porte Dauphine Tunis.
Webmanagercenter : Quel est le fil conducteur de la thèse du partage des risques
?
Guillaume Carlier : Il s’agit de trouver les allocations de partage de risques
efficaces qui gèrent les relations de partenariat ou d’échanges entre divers
agents économiques loin des scénarios de rupture, c’est-à-dire en évitant les
situations économiquement aberrantes. Tel qu’un opérateur serait spolié au sein
d’une communauté d’affaires par exemple.
De quelles catégories d’opérateurs s’agit-il ?
Je pense aux ménages, à un ensemble de filiales d’un groupe de société, à des
professionnels d’un même corps de métiers. En général, dans nos calculs, nous
observons une certaine abstraction afin de pouvoir trouver le plus large spectre
des variantes d’agents et d’allocations par la suite.
Vous recourez à la modélisation ?
Oui, dans une large mesure. Quand il s’agit de combiner des distributions et des
moyennes ainsi que des espérances de gains et de pertes. Il devient inévitable
de modéliser.
Comment vous vérifiez la validité de vos modèles ?
On part de la théorie et on cherche à déduire des propriétés ou des formules
mathématiques avec des prolongements quantitatifs que l’on pourrait tester sur
des données réelles. De deux choses l’une, ou les propriétés se vérifient et en
ce cas on conserve le modèle ; ou les données ne collent pas à la réalité et là
on remet le modèle à plat et on le reconfigure. Vous avez bien constaté lors de
mon exposé que j’utilise beaucoup d’outils mathématiques mais que dans mes
conclusions j’expérimente mes propriétés sur des données réelles.
Vos modèles peuvent-ils s’appliquer aux mécanismes des marchés ?
Hélas, non. Nous sommes sur des modèles économétriques de partage de risques et
pas d’optimisation d’actifs financiers. Nous restons à l’intérieur de cadres de
comportement d’agents tout à fait généraux vis-à-vis du risque. Ce peut être des
assureurs, des négociants, des investisseurs.
Comment braver l’aversion à la prise de risque ?
C’est parfois une nécessité d’aller vers la prise de risque. Un opérateur peut y
être forcé par le marché, les compétiteurs, les aléas.
Comment expliquer le besoin de mutualisation des risques pour certains métiers?
Je pense que c’est par le fait qu’on a tendance à faire jouer l’effet de base
via la loi des grands nombres. La fragmentation des risques atténue l’exposition
d’un opérateur et réduit d’autant son aversion.
L’aversion au risque peut pénaliser la dynamique économique. Comment la
surmonter?
C’est quand le risque peut entamer le patrimoine d’un agent que ce dernier
devient adverse au risque. La «prospect theory» fait une distinction entre les
risques. Les petits risques excitent les opérateurs et éveillent un certain
esprit de jeu. Voyez un peu tout l’engouement que rencontre le loto ou les paris
des courses. Là ça ne coûte pas cher et ça peut rapporter gros. Tout le temps
que le risque est calculé, il ne suscite pas une aversion.
Vous soutenez qu’une allocation efficiente des risques doit profiter à tous…
Cela correspond le plus souvent à la réalité. Dans tous les domaines d’activité,
les opérateurs évoluent vers des distributions de risques, tel que tous se
trouvent à l’abri d’une forme d’iniquité. Il n’y a pas de gros perdants ni même
de gros gagnants. C’est ce qui rend la croissance supportable malgré l’inégalité
de répartition des revenus. Tout le monde améliore sa situation. Et en l’absence
de revenus, la collectivité se rattrape et choisit la solidarité, en
indemnisant.
Vous alternez entre efficace et efficient, lequel retenir?
Evidemment, on traduit le mot anglo-saxon «efficient» par efficace alors qu’ils
ne sont pas tout à fait synonymes. Pareto, lui, utilise le mot stabilité pour
dire qu’une allocation ne soit pas contestée et n’évolue pas vers des situations
aberrantes.
Est-ce qu’on peut étendre ces outils à des projets de réforme de secteurs
d’activité?
Pas vraiment. On reste dans le champ économétrique du partage du risque entre
agents et pas dans celui de réformes de structures.
Les modèles mathématiques ont-ils des limites?
Oui parfois. Le modèle de Thownsend en est un. Ses propriétés sont rejetées par
la réalité. Thownsend soutient que les gens se partagent les risques d’une telle
façon qu’on ne trouve pas un autre partage qui diminue le risque de chacun. Non
ça ne marche pas statistiquement. Sinon comment expliquer les pénuries ou le
phénomène de positions dominantes, enfin tout ce qui provient de l’asymétrie de
l’information.
D’où vient la pertinence de l’outil mathématique?
Dans la vraie vie, le problème n’est pas une affaire de risque mais de
perception du risque. Je pense que l’on n’évalue pas les pertes et les gains
avec la même courbure. Au final, on a des optimistes et des pessimistes et cette
hétérogénéité détermine la dynamique de partage du risque entre opérateurs. Et
l’économétrie sait traiter ces aspects scientifiquement.
Pourquoi vous n’utilisez pas les séries historiques de comportements?
Cela pourrait apporter un éclairage différent. On peut en effet envisager de se
tourner vers les séries statistiques historiques.