Tunisie : Assurances, peut-on libérer les primes et les indemnisations?

ass_vie-1.jpgQuel rôle pourrait jouer la Tunisie entre l’UE et l’Afrique ? En clair, les
compagnies tunisiennes auront-elles l’ambition mais également le potentiel
technique de même que le standing financier et suffisamment d’appétit de
croissance externe pour prendre pied en Afrique et y trouver une aire
d’expansion ? Voilà la cascade d’interrogations soulevée par Béchir Elloumi en
fin d’exposé. Le directeur technico-commercial de la COMAR avait mitonné cette
problématique en tandem avec Nizar Lahyani, directeur informatique à la même
compagnie. Et c’est cette ambiance d’investigation, dont les atugéens ont le
secret, qui fait le charme des petits déjeuners laborieux du «Club Atuge
finances
» comme ce fut le samedi 17 avril 2010.

L’Etat des lieux : Un secteur «rentier»

En bien des domaines et notamment dans
l’assurance, l’Etat a eu une politique
volontariste pour pousser les affaires. Voilà, c’est ainsi. Cependant, chemin
faisant, l’Etat, encore lui, était là pour réformer. La profession a beaucoup
évolué. Elle s’est ouverte à des participations de compagnies internationales et
l’ensemble du secteur s’apprête à affronter la libéralisation des services qui
est dans l’air, en posture sinon favorable du moins consciente des enjeux. Mais
la «puissance publique», tout en menant le jeu, n’a pas d’intérêts
prépondérants. Les compagnies privées sont dominantes avec 59% des actifs, le
secteur public et mutualiste faisant jeu égal avec, respectivement, 21 et 20%.

Mais l’autre aspect contraignant est que l’essentiel de la production provient
des assurances obligatoires, soit l’automobile et l’assurance groupe (maladies).
La première représente 46% du chiffre de la profession et la seconde 14%. Cela
fait que 60% de la production est téléguidée.

Que faut-il comprendre par-là ? Tout simplement que les primes et par conséquent
les marges sont administrées. Et cela ne favoriserait pas la course à la
compétitivité. Le métier n’est pas tout à fait maître de son avenir étant donné
que les conditions de marché ne fonctionnent pas à plein gaz. Les primes et les
indemnisations sont encore «under control».

Un secteur attentif à ses équilibres financiers

Au bout du compte, le secteur se défend plutôt bien. Il a réalisé 1.017 millions
de dinars de chiffre d’affaires avec un bénéfice consolidé de 88 millions de
dinars. Mais ce qui est surprenant, c’est que le total des sinistres est aussi
élevé, 767 MDT en 2009. Mais la profession est bien parée car les provisions
techniques sont environ au double du chiffre d’affaires, soit 2.000 MDT en 2009.
L’Etat veille au grain. Ces provisions sont le droit à indemnisation des
souscripteurs et c’est la garantie de solvabilité des compagnies. La plupart de
ces provisions sont investies en Bourse.

Cependant, en l’occurrence les assureurs ne sont pas libres de leurs placements
étant donné qu’un catalogue d’investissements est établi par la tutelle.
Evidemment la tutelle est attentive à la volatilité des valeurs et par
conséquent elle recommande, de préférence, les valeurs obligataires et
«monétaire» nettement plus stables que les actions pour protéger ce trésor de
guerre.

Toutefois, avec 440 MDT de Fonds propres, le secteur est sous-capitalisé. Un
effort est à faire en la matière car la profession voudrait avoir un
développement équilibré. Et c’est précisément autour de cette problématique que
s’articule toute la réflexion se rapportant à l’avenir du secteur. Un
développement équilibré voudrait que la saignée financière occasionnée par la
maladie et l’auto soit compensée par des primes avec une sinistralité moindre,
notamment les produits vie, et c’est la règle du genre. Un développement
équilibré, en relevant la rentabilité, permettrait de dégager des réserves et
réparerait la sous-capitalisation.

Les produits d’avenir

Pour être attractif pour les investisseurs, le secteur doit penser fatalement à
relever sa rentabilité. Le gisement de croissance est dans les 40% du chiffre
qui se fait aux conditions du marché, mais les perspectives y sont un peu
bridées car les véhicules concernés ne peuvent pas connaître, dans le contexte
actuel, une croissance fulgurante. Il s’agit des produits complémentaires de
santé et de retraite.

A présent que
la CNAM est opérationnelle, les produits complémentaires santé
peuvent être poussés. Ce n’est pas encore tout à fait le cas pour les
complémentaires de retraite. Le système de retraite actuel est encore trop
généreux, selon les assureurs. Ses ajustements récents ont créé une possibilité
pour caler une offre sérieuse de compléments de retraite. Aux dires des
assureurs, le plafonnement de l’assiette de calcul à 6 fois le SMIG et la
réduction des taux de calcul font que certaines catégories, et notamment les
cadres supérieurs, recevront des retraites qui représenteraient la moitié de
leur salaire de la période active. On pense qu’ils sont sensibles à la question
mais il appartient aux assureurs de les sensibiliser. Par conséquent, c’est sur
le déficit des Caisses qui entraînerait, mécaniquement, une révision à la baisse
des retraites que les produits en question connaîtront un véritable décollage.
Après tout, les assureurs anglo-saxons, les mieux lotis de la planète, se
sucrent sur ce créneau précis. L’épargne longue qu’ils collectent provient des
compléments de retraite. Et c’est cette manne qui leur permet d’intervenir en
Bourse, renforçant le financement direct de l’économie et dans le même temps de
suffisamment de moyens pour se diversifier et se concentrer.

Un secteur mal aimé

Sur bien des segments il y a une marge de progression que les assureurs peuvent
développer. Les produits vie représentent 13% de la production et ils
progressent à un taux élevé, 20% en 2009 par rapport à 2008. Mais il semble que
le secteur soit pénalisé par un déficit d’image. La clientèle boude un peu les
innovations ‘’produits’’ et les professionnels savent qu’il faut y aller
lentement. Beaucoup s’appliquent à améliorer les produits, c’est-à-dire à mettre
plus de prestation dans leurs contrats pour attirer le chaland. Pareil pour le
service après-vente. En effet, le chèque avance sur sinistre, à titre d’exemple,
représente bien un «plus» par rapport à ce qui se faisait auparavant. C’est
beaucoup et peu à la fois.

Nous considérons que pour renverser la vapeur, un plan de renouveau marketing
s’impose. Il est vrai qu’en plus de l’amélioration des produits et du service
après-vente, la formation du personnel de front office est une bonne chose. Mais
un plan Com’ tous azimuts est aussi nécessaire. La MAAF projette un clip télé
quotidien en prime time en matraquant son fameux slogan «je l’aurai, un jour».
Pareil pour LCL avec son célèbre «alors, heureux ?». On ne peut donc espérer
rapprocher les uns des autres sans une action d’envergure et de longue haleine.
Et ce plan Com’, pour réussir, doit recevoir en renfort un démarchage offensif.
C’est désormais à l’assureur de s’inviter chez le client avec l’insistance que
l’on connaît. Sans quoi il nous semble éloigné de voir le marché basculer
rapidement.

Les frictions concurrentielles

Faute de pouvoir développer le marché, les assureurs se rabattent sur la course
à la conquête des parts de marché, seule piste pour avoir une taille critique.
Et les «bonnes pratiques» en font les frais. Peu enclins à traiter en
consortium, les assureurs se livrent à une concurrence dangereuse par les prix
pour développer leurs parts de marché. Cela se fait au péril des marges qui sont
bel et bien sacrifiées. Et cela se fait également au détriment de la couverture
du risque. Des opérations en coassurance préserveraient les marges car les
membres du pool seraient en mesure de «s’entendre» pour ne pas «tripatouiller»
les primes.

Ajouter que la collectivité nationale en profiterait car le recours à la
réassurance à l’étranger serait moindre. Tout le monde y gagnerait.

Un secteur victime de son atomicité

Pour faire peau neuve, les assureurs ont besoin d’asseoir un certain pouvoir de
marché, éventualité hautement improbable, en l’état actuel des choses. Dès lors,
il faut pousser au regroupement. Avec 19 assureurs, le secteur est très atomisé.
Il faut faire pousser de champions avec tous les attributs professionnels et
financiers. On ne voit pas pour l’instant des perspectives de fusion/acquisition
qui se dessinent d’elles-mêmes. Il convient d’y travailler.

En reconfigurant la physionomie du secteur, il serait alors possible pour des
assureurs, devenus plus intégrés, d’envisager de choisir la voie de la
croissance externe en allant prendre pied en Afrique subsaharienne, à l’instar
des compagnies marocaines et sud-africaines. En la matière, la comparaison avec
les compagnies marocaines révèle que le point de différence vient de la
profondeur du gisement des compléments de retraite, car le régime social
marocain est moins clément que le nôtre : 34% de la production est généré par
les compléments de retraite contre seulement 13% en Tunisie. A bon entendeur…