Avant le jour J de l’ouverture officielle
l’Exposition
universelle de Shanghai, plusieurs tests grandeur nature ont été réalisés pour
vérifier les mécanismes et les procédures qui ont été mis en place pour ce que
l’on appelle déjà comme étant «la plus grande expo de tous les temps». Au total,
ces tests ont porté sur 1,1 million de visiteurs. A J-3 (mardi 24 avril) d’une
exposition qui regroupe 192 pays et ambitionne de recevoir entre 70 et 100
millions de visiteurs, ce ne sont pas moins de 500.000 visiteurs qui ont été
reçus en avant-première pour une journée d’essai. Une occasion qui a permis de
mesurer que les préférences des visiteurs-témoins sont allées vers les stands
chinois, espagnol, britannique, français, thaïlandais, australien et celui de
l’Arabie Saoudite.
D’ores et déjà, un public discipliné s’est émerveillé devant autant de
créativité pour cette exposition qui place la ville au cœur d’une vie meilleure.
Nous avons fait partie de ces nombreux «happy few». Une opportunité pour visiter
Shanghai et raconter le pavillon tunisien. Récit.
Shanghai.12h30. Température: 22°. Ciel couvert. J-3 de l’Exposition
Universelle. Il règne dans la ville une certaine effervescence. Habillée aux
couleurs de l’exposition, Shanghai s’est refait une beauté. En moins de deux
ans, tout y a changé ou presque et très vite. Même si quelques quartiers
sont restés en dehors des transformations qu’a subies la ville, l’ensemble y
est grandiose. A l’image de ce qui se fait dans le pays. Shanghai est-elle
pour autant la Chine ? Loin de vouloir répondre à cette question, il est
incontestable qu’elle en est la vitrine et le laboratoire. Désormais des
gratte-ciels incalculables ont surgi de la terre. On y compterait plus de
3.000 tours qui dépassent les 30 étages. Une sorte de Las Vegas a bel et
bien surgi au pays de Mao.
Shanghai est-elle désormais prête à vivre la fête ? Elle semble en tout cas
prête à exposer et s’exposer. Durant les 184 prochains jours que durera
l’évènement, elle ambitionne de recevoir 70 millions de visiteurs. Dans la
cité, les indications concernant l’exposition universelle sont très
nombreuses. Son logo est partout et sa mascotte omniprésente. On a toutefois
oublié de traduire cette généreuse signalétique dans d’autres langues. En
anglais, tout au moins. Etrange pour un pays qui veut bâtir une vie
meilleure avec le reste du monde ! Alors que la presse chinoise relève ce
point, qui sera résolu dans les jours à venir, d’autres remarquent que le
visuel du pavillon chinois se substitue un peu trop souvent à celui de
l’exposition.
La Chine a changé. Elle est aujourd’hui la nouvelle puissance économique
mondiale mais pas seulement. La Shanghai transformée est à la fois
l’occasion et l’instrument pour afficher la force d’aujourd’hui et la
puissance de demain. L’exposition universelle a été dotée de moyens hors
normes. Des moyens à la hauteur des ambitions et des possibilités de la
Chine. Une image résume parfaitement la démarche: les moyens, la rigueur et
la suprématie. Celle du pavillon chinois qui trône majestueusement sur
l’exposition et sur la ville. Un pavillon qui toise du haut de ses 70 mètres
de hauteur le reste des pavillons.
Dans l’enceinte du site de l’exposition, on l’aperçoit de loin et de
partout. En se promenant, on enregistre le succès de ce pavillon mais
remarque aussi le mouvement des foules qui se dirigent vers les régions Asie
et Europe. Les files sont longues. Elles n’en finissent pas de se faire et
se défaire. Le spectacle des jardins, des ponts, et des surprenantes façades
de certains pavillons valent à elles seules le détour. L’hérisson
britannique avec ses tiges d’acryliques capteurs de lumière rivalise avec la
splendide façade en osier de l’Espagne qui est inspirée du musée Guggenheim
de Bilbao. L’oasis abstraite des Emirats Arabes Unis donne la réplique au
modernisme du pavillon de l’Arabie Saoudite. Le pavillon français défend
quant à lui la ville sensuelle. Recouvert d’une résille de béton, il opte
pour une scénographie dynamique où se déclinent les cinq sens sous forme de
vidéo, d’expériences olfactives et gustatives.
Les pavillons thématiques ne sont pas en reste. Ils concurrencent de beauté
et d’ingéniosité. La palourde géante qui fait office de salle des spectacles
est l’autre clou de l’exposition. Sans parvenir à retenir plus l’attention
que le pavillon de la Chine, elle devient simplement la plus grande salle
polyvalente du monde et peut accueillir jusqu’à 18 000 spectateurs.
S’étendant sur 5 km2, l’exposition inscrit sérieusement son souci
environnemental. Elle n’accueille que des véhicules propres, ses systèmes de
climatisations sont refroidis par le fleuve voisin et abrite le plus grand
toit de panneaux solaires du monde.
Alors que certains pavillons sont encore en train de parfaire des petits
détails, d’autres ont ouvert leurs portes durant ce jour d’essai. Les
pavillons suscitent les curiosités d’un public frappé par autant
d’ingéniosité et de privilèges. Pour ne citer que le Danemark en exemple, sa
fameuse sirène trône désormais dans son pavillon prête à accueillir des
millions de visiteurs qui la découvriront en faisant du vélo. Comme le
Danemark, de nombreux pays ont pris l’option de sortir des pièces uniques de
leurs territoires. Histoire d’être à la hauteur de l’évènement.
Comme abasourdis, les visiteurs chinois avancent avec calme et ne savent
plus où donner de la tête. Parmi les stands à l’honneur ce jour là, on
retient le pavillon africain qui ne désemplissait pas. Coloré, multivitaminé,
il est surtout ludique et très animé. On y organise des spectacles à
longueur de journée. Juste en face, entre l’Algérie et l’Egypte, le pavillon
tunisien est situé dans sa zone géographique. Seul le Maroc s’échappera du
continent et ira se nicher entre la Jordanie, les Emirats Arabes Unis, le
Liban et Israël.
Ce jour-là, du côté du pavillon Tunisie, l’ambiance était bien calme. Fermé,
on s’activait à finir quelques derniers détails mais déjà cela augurait
d’une platitude certaine. Un volume sans relief est habillé de photos
assemblées sans harmonie. Des images juxtaposées les unes aux autres
contribuent, par leur aspect «vieillot», à bloquer le pays dans une image
archaïque, désolée et désolante. Le comble de ce rideau d’images pâles
atteint son paroxysme lorsqu’on accroche à sa façade arrière trois
climatiseurs, alors que ceux des pays voisins sont tout simplement juchés au
sol.
Vu de l’extérieur, le pavillon tunisien n’attire aucune curiosité. Vu de
dedans, il ne traduit en rien le modernisme et le dynamisme qui
caractérisent le pays. Statique, certains éléments architecturaux et
décoratifs tentent de rehausser le tout. En vain. Pour l’aménagement du
pavillon national, on a tenté de composer au mieux avec tous les éléments
décoratifs existant. Tout y est passé : les dorures, les carreaux de
faïence, une frise de mosaïque au sol, le bleu de Sidi Bou Saïd, le fer
forgé des lanternes de Hammamet, les poufs creusés dans le bois de palmier,
les «mergoums» de mauvaise qualité, les «foutas» de mauvaise qualité…On
s’est même essayé à une fresque murale qui représente la saison des
cueillettes des oliviers. Un dessin naïf qui reprend une scène typique d’un
autre temps. Pour parfaire le tout, on a pensé à un olivier en plastique et
à un palmier qui produit des noix de coco. Bien léger tout cela !
Cependant, il est nécessaire de retenir le chic épuré du petit théâtre
inspiré du colisée d’”El Jem”. Une vraie beauté ! Reposant et élégant, il
saura être un havre de paix dans le tumulte de l’exposition. Espérons
seulement que la qualité des contenus qui seront diffusés sur le grand écran
dédié à cet effet saura retenir l’attention des visiteurs qui se rendront
dans notre pavillon national. A l’étage, une exposition de groupe de
peintures est accrochée aux murs. Un café traditionnel servira assurément
des boissons bien de «chez nous».
Au terme d’une visite décevante, on est en droit de se demander comment
cette exposition pourra retenir une foule qui ne saura plus où donner de la
tête par toute la créativité des autres pavillons qui brillent par autant
d’originalité que de simplicité. Des pays qui même avec des moyens limités
ont su faire dans le simple, le ludique et le participatif.
Pour Shanghai 2010, il s’agissait de séduire, de s’inscrire dans un thème et
de susciter de l’émotion. Il s’agissait de traduire la vérité d’un pays
moderne pour qui les nouvelles technologies, le développement durable ou
encore les énergies renouvelables sont une priorité nationale et un
quotidien vérifié. Ils sont en fait au cœur même d’un pays qui innove et qui
se trouve desservi par un stand passéiste. Un stand qui n’arrive pas à
traduire la réalité du pays en y inscrivant toutes ses vérités.
Au terme de cette visite, il semble que le pavillon Tunisie rate un
rendez-vous important pour se présenter au mieux. On repart de l’exposition
Universelle 2010 la déception aux yeux et la colère au ventre. Notre pays
aurait mérité mieux ! A l’exposition universelle de Shanghai, notre Tunisie
millénaire ne paraît que l’ombre d’elle-même. Au delà de cette
participation, il est urgent de repenser l’image que nous voulons, devons et
pouvons vraiment donner de notre pays. Cela mérite bien plus qu’une
question. Cette interrogation est essentielle à la lumière de cette
manifestation. Elle nous oblige à donner des réponses précises en ces temps
où la singularité doit être un atout pour avoir une longueur d’avance sur
les concurrents.