“A chaque fois qu’une banque islamique s’engage dans des opérations financières,
son premier objectif est d’être rassurée à tous les niveaux, qu’il s’agisse de
la rentabilité de ses produits ou de leur conformité avec les préceptes de la
Chariaa”. Pour Cheikh Mokhtar Sellami, président de Charia Board à Banque
Zitouna, il n’est pas question qu’on procède à l’habillage de certains produits
bancaires en les faisant passer pour des produits islamiques.
«Toute institution financière islamique doit se référer à des experts en finance
pour le montage d’un éventail de produits rentables. Il faut cependant qu’elle
s’entoure des précautions d’usage pour qu’ils répondent aux principes de l’islam
dans toutes les transactions et opérations bancaires et financières. Pour cela,
la présence d’un Charia Board fiable, qui a la maîtrise des préceptes
islamiques, qui peut statuer sur la conformité des produits à l’éthique et à la
morale islamique est capital», ajoute-t-il. Le plus grand risque, selon lui,
résiderait dans le fait que certains opérateurs considèrent certains mécanismes
financiers comme étant islamiques alors qu’ils ne le sont pas. Car chaque
produit, pour être valable, doit répondre à un certain nombre de principes qui
ne peuvent en aucun cas être ignorés. La vigilance est par conséquent d’usage
pour ne courir aucun risque de commercialisation de produits conventionnels
prohibés sous forme de produits islamiques.
M. Sellami est approuvé par M. Mahfoudh Barouni, président du Conseil
d’Administration de
Banque Zitouna. «Il est vrai que dans certains marchés
internationaux, nombre de commerciaux qui tiennent coûte que coûte à gagner des
parts de marchés, ont tendance à faire passer des produits financiers
conventionnels pour des produits islamiques et à les faire légitimer par un
Chariaa Board; c’est une pratique que nous n’appliquerons jamais à Banque
Zitouna, nous sommes bien décidés à respecter la loi et la chariaa». Si, ijtihad,
il y a, précise Mahfoudh Barouni, c’est l’Institution du Fikh Islamique «Majmaa
Al fikh Al Islami» qui en est la seule dépositaire et qui a été chargée par
l’Organisation de la Conférence islamique de statuer en la matière. D’autant
plus qu’il s’agit de produits qui peuvent passer pour être islamiques quand ils
sont disséqués, mais dès qu’ils sont présentés sous une même dénomination, ils
risquent de ne plus répondre aux conditions requises. «En Islam, pour chaque
type de relation, il existe des contraintes techniques spécifiques mais
conformes sur le plan de la Charia et acceptables, si nous associons différents
types de relations, nous pouvons tomber dans l’illicite. A titre d’exemple, nous
ne pouvons pas associer le contrat de garantie et la Moudharaba, la séparation
doit être préalablement établie». Le mélange des genres risquerait, des fois, de
devenir «détonnant», assure M.Barouni, alors que dans la pratique, l’islam
considère que chaque relation contractuelle a des conséquences et c’est pour
cette raison que des garde-fous ont été mis en place pour éviter toute mauvaise
interprétation ou adaptation d’un produit financier quel qu’il soit.
Il faut reconnaître que, dans certains pays asiatiques, il existe des écoles
religieuses peu regardantes s’agissant de l’adaptation des produits financiers
aux préceptes de la chariaa. Même chose dans certains pays du Golfe où nombre
d’opérateurs étrangers, peu imprégnés de la culture et de l’esprit de l’islam,
se mettent à créer des produits non conformes et à les faire valider en les
faisant passer pour des produits islamiques.
Entre conforme et non-conforme à la Chariaa, la barrière est-elle infime?
Comment peut-on être sûr d’éviter la confusion entre produits bancaires et
financiers conventionnels et produits islamiques ?
La réponse n’est pas simple, répond
Ezzedine Saïdane de Directway Consulting :
«Qu’est-ce que les sous-jacents dans une banque ? C’est la création de produits
qui s’appuient sur des actifs. Dans la finance islamique, pour que le produit
soit islamique, il faut qu’il s’appuie sur des actifs tangibles et hallal, selon
la formule «wa ahalla allahou al bayaa wa harrama arriba» -Dieu a permis la
vente et prohibé l’usure. Ce qui implique que toute transaction purement
commerciale est légitimée mais toutes celles qui comprennent un taux d’intérêt
sont interdites; deuxièmement, il faut que la transaction soit licite, ce qui
veut dire qu’elle ne doit pas être le produit d’un certain nombre d’interdits,
telle la vente d’alcool ou de produits prohibés par l’islam. Dans la pratique,
les réponses ne sont pas évidentes».
Si par exemple une société d’intermédiation boursière veut constituer un fonds
hallal, il va être basé sur un certain nombre d’actions cotées en Bourse, et là,
explique M. Saïdane, il existe deux problèmes : «La cotation en Bourse est par
définition spéculative et la spéculation est interdite par l’islam; d’autre
part, le nombre d’actions licites est très limité. Si à titre d’exemple, on
introduit une grande surface en Bourse, tout le monde sait que l’on y vend de
l’alcool, ce qui est prohibé par l’islam. Peut-on dans ce cas répartir le
chiffre d’affaires selon que les produits soient licites ou illicites ?».
Tout le monde sait que la vente d’alcool est structurelle dans n’importe quelle
chaîne de magasins de la grande distribution et n’est pas occasionnelle, ceci ne
serait-il pas de nature à compliquer les opérations de séparation entre le
licite et l’illicite ? Sachant que dans certains points de ventes, le chiffre
d’affaires réalisé par la vente d’alcool atteint les 60%…
Si nous prenons l’exemple des
pays du Golfe
où la banque islamique est très
répandue, les produits seraient, en partie, selon le directeur général de Directway Consulting, de l’habillage pur et simple. «Un habillage, du genre je
ne vous accorde pas de prêts personnel ou à la consommation, mais “je vous vends
des devises que je rachète chez vous avec une commission””. Les soukouks qui ont
un succès extraordinaire sur ces marchés sont basés sur de la titrisation. Je
prends un ensemble de créances dans une banque, je les mets comme sous-jacents
et j’émets des obligations qui représentent ces actions, même s’il y a des
sous-jacents, ils ne servent que de garanties. Ca s’appelle tout simplement de
l’habillage». Tout comme les cartes de crédits aux Emirats arabes unis qui sont
dans la monnaie du pays «le dirham» mais qui, dès que le client dépasse sa
provision sont crédités en devises pour justifier les taux d’intérêts ou
“commissions”, si on préfère.
Est-ce à dire que si on suivait à la lettre la chariaa, on ne pourrait mettre en
place toute cette panoplie de produits islamiques?
La Finance islamique peut s’adosser à des produits financiers qui répondent dans
le détail aux préceptes de l’islam. «A condition d’avancer prudemment, 20 à 30%
de croissance ne doivent pas être perçus comme une victoire, il faudrait rester
fidèle à l’esprit de l’islam, il ne s’agit pas que de parts de marchés, il
s’agit plutôt de répondre aux exigences morales et éthiques d’une religion qui
se nomme islam», précise M. Saïdane.
Pour ce qui est d’émettre des fatwas statuant sur des produits conventionnels
comme étant islamiques «hotha fi ras Alem wi okhroj Salem», si «c’est une fatwa
émise par les savants, ils en sont les responsables et nous en tant
qu’exécutants, nous n’en assumons pas la responsabilité», pourrait-on arguer.