Webmanagercenter : Des technologies avancées mais de petites niches. Quel est
le bien-fondé de
l’efficacité énergétique dans le panorama global des énergies
renouvelables?
Didier Lartigue, DG du groupe Clarke : En termes génériques, il s’agit
d’optimiser l’équation énergétique dans la production industrielle. En clair,
c’est ce qui permet de baisser la facture de
la STEG pour une entreprise. Au
concret, il est vrai que nous opérons sur des niches en récupérant les gaz
fatals des puits de pétrole brûlés en torchères ou le méthane des décharges
ainsi que des eaux usées, enfin la cogénération, qui recycle les déperditions
thermiques. Mais je vous dirais qu’en Grande-Bretagne, qui a choisi l’option de
la récupération des bio gaz et qui a servi notre expansion, étant donné que nous
possédons la technologie dédiée, le pays produit 1.000 mégawatts à partir des
gaz de décharges, et ce 24 h sur 24 et 7 jours sur 7, sans interruption.
Cette continuité n’est pas garantie pour les autres sources des énergies
renouvelables. Les deux principaux hôpitaux de Londres soit Saint Thomas et
Guy’s Hospital, au demeurant visités par des responsables de la STEG dans le
cadre de la commission mixte, s’autoalimentent par cogénération. Au bout du
compte, cela finit par s’additionner et la problématique de l’efficacité
énergétique a fini par compter par rapport à l’éolien et le solaire.
L’efficacité énergétique contribue à préserver l’environnement en recyclant des
rejets, des résidus ou des émissions qui étaient perdus et, par-dessus-tout,
polluent en intrants de production d’électricité. On est donc en logique
d’économie d’énergie et de création de valeur.
Ali Slama, président du Groupe Slama : Nous avons nous-mêmes engagé une
réflexion autour de l’option de la fonction énergétique pour les entreprises du
pôle agroalimentaire du Groupe Slama, secteur d’activité réputé énergétivore.
Nous avions déjà entamé une action en collaboration avec
l’ANME (Agence
nationale de maîtrise de l’énergie) qui nous a permis d’économiser 15% de
consommation électrique à volume de production égal.
Nous avions donc une certaine prédisposition à aller plus avant. C’est pour cela
que nous avions donc entrepris une étude de faisabilité. Celle-ci nous a révélé
un important gisement d’économie. Et tout progrès en la matière représente un
acquis concurrentiel non négligeable, et j’ajouterais précieux en ces temps de
mondialisation dominante où les prix de revient deviennent une variable qu’il
faut suivre de très prés.
Je vous avouerai que et je n’ai pas pu contrôler ma réaction en m’exclamant :
Pourquoi ne l’avions-nous pas fait plus tôt ? Réalisez que l’on parvient à
doubler le rendement de nos installations thermiques à partir des déperditions
de chaleur. Il est vrai que d’un autre côté il faut investir en équipements.
Mais, au final, le retour sur investissement est attrayant. Ajouter que l’Etat
et les bailleurs de fonds mettent en place des incitations et des conditions
préférentielles de crédit d’investissement qui sont très favorables. Ajouter
qu’en ma qualité de président d’un groupe d’entreprises citoyennes je suis très
sensible à la portée environnementale du projet. A l’heure actuelle, nous allons
passer commande pour du matériel de chez Clarke pour le compte de notre société
«Nejma» de conditionnement d’huile de graines.
Quel regard portez-vous sur la législation actuelle, en Tunisie ?
Didier Lartigue : Je salue le partenariat public privé qui règne en Tunisie. Je
pense que nous sommes en présence d’une configuration de prise de décisions
rapide et efficace, et j’ai pu le mesurer dans le secteur pétrolier, notamment
avec le consortium ETAP et Pioneer lesquels exploitent en commun le forage de
Waha. Notre groupe a équipé ce site de trois moteurs Jenbacher de production
d’électricité à partir de gaz fatal. Ces moteurs sont en service depuis novembre
2009. Je salue également la STEG qui est seule au Maghreb à briser le monopole
de production, en acceptant que des groupes industriels produisent de l’énergie
électrique pour leur propre compte. Elle accorde cette dérogation aux
collectivités, tel le Marché de gros de Tunis qui s’équipe chez nous pour sa
décharge de produits. Il s’agit d’une unité de fermentations de résidus qu’on
fait fermenter pour générer du méthane. Notre processus de décomposition dure 21
jours au lieu de 3 ans, pour la décomposition naturelle.
L’Etat tunisien prévoit neuf décharges au total, ce qui constitue un appoint
important de production d’électricité.
Ali Slama : Sur ce même registre, je dirais que la production de l’électricité a
pu être ouverte au privé par BOT depuis plusieurs années. Mais l’avantage ici
est que les opérateurs industriels puissent être de la partie. Pour les
industriels cela servira, à n’en pas douter, les avantages comparatifs.
Toutefois, je dois reconnaître que la STEG a fait un pas de géant pour
encourager la cogénération en validant un standard qui permet de raccorder les
opérateurs à son réseau de distribution. Et là c’est un point clé pour
l’opération.
Quels sont vos rapports avec la STEG ?
Didier Lartigue : Il existe un problème de quotas. La STEG n’accepte de reprendre
que 80% de la production électrique générée. Elle nous demande d’utiliser les
20% qui restent sur site. A Waha cela était possible car un puits de pétrole
consomme beaucoup. Mais pour la décharge de la SOTUMAG il sera difficile de
consommer les 20% sur place.
Ali Slama : La cogénération pourrait connaître un grand essor si le législateur
assouplissait la réglementation, par exemple en permettant d’alimenter
l’excédent d’électricité produite d’autres sociétés du groupe. Or, en l’état
actuel des choses, le transfert d’électricité ne peut se faire qu’entre sites
appartenant à la même entité juridique. En sont exclues, dans notre cas, les
autres sociétés du groupe. Et c’est dommage car on peut songer à un mode de
transfert qui serait dans l’intérêt des deux parties. On peut envisager que
l’excédent d’électricité que produira notre unité Nejma soit cédé à la STEG à
Oued Ellil. Et cette dernière alimenterait à due concurrence certaines de nos
sociétés basées dans le Cap Bon. Mais cette péréquation n’est pas autorisée pour
le moment. Et c’est regrettable. Je pense que c’est une piste à creuser car les
industriels seraient prêts à dimensionner leur investissement de cogénération en
conséquence, et je le répète, tout le monde y gagnerait.
Quelles perspectives à l’avenir ?
Didier Lartigue : J’en vois au moins deux. Les hôpitaux et les hôtels peuvent
être de grands vecteurs de cogénération. Vous m’avez objecté que ce ne sont que
des niches mais je vous invite à faire le calcul : selon les prévisions
actuelles, on pourrait produire 100 Mégawatts à partir des décharges, 50 à
partir des stations d’épuration, 200 de la cogénération et 40 des gaz fatals.
Faites le total et vous aurez un chiffre significatif.
C’est une petite pierre à l’édifice mais qui, au cumul, peut avoir de
l’importance.
Ali Slama : Avec la cogénération, je pense qu’on donnerait plus d’allant à notre
dynamique d’émergence. C’est un gisement considérable. Je prends acte des
chiffres avancés par Didier Lartigue pour les puissances à produire et je pense
qu’un plan efficacité mérite d’être engagé comme l’a été la Mise à Niveau ou la
«Qualité» auprès du système industriel national.
Les choses iraient encore plus vite si la STEG reconsidérait les tarifs de
rétrocession qu’elle nous applique pour nous régler l’électricité que nous
produisons en excédent. Si elle pouvait prendre comme base de calcul le prix de
marché et non son tarif courant lequel est subventionné.
C’est un appel que vous lancez à la Steg ?
Ali Slama : En effet, on peut voir les choses comme ça. Cela dit, la STEG a
toujours manifesté une excellente disposition au dialogue, et j’ai bon espoir.