Tunisie : “Le Maghreb enregistre une croissance élevée, mais inférieure au potentiel que lui donnent sa jeunesse et ses talents”, estime Elisabeth Guigou

Webmanagercenter : Croyez-vous au destin commun de l’Europe,
du Maghreb et de l’Afrique?

Elisabeth Guigou: Face aux bouleversements du monde, à la bagarre multipolaire,
qui va être rude et longue, ces trois entités, nourries par une longue histoire
et des échanges humains et commerciaux intenses, peuvent devenir, en
s’associant, l’une des colonnes vertébrales de l’ordre international du XXIème
siècle. S’ils ratent ce rendez-vous crucial, alors vae victis (gare aux
vaincus), qui vont être relégués au rang de périphérie de la mondialisation où
la croissance sera toujours atone et le chômage endémique. Actuellement, la
dynamique de la politique de voisinage patine en dépit d’un effort financier de
600 millions d’euros par an, ce qui place les projets régionaux, tels que le
Plan solaire méditerranéen, les autoroutes de la mer, la dépollution, la
protection civile, la Banque méditerranéenne, les chaînes de télévision et les
offices des jeunes, dans une trajectoire prometteuse à l’approche du sommet de
Barcelone de l’UPM en juin prochain.

De toutes les manières, l’Europe a tout à gagner à adresser un partenariat à
l’ensemble du continent africain car la mondialisation exige une masse critique,
une synergie constante et une réponse unifiée aux défis des gestions de crise
politique, de la gouvernance économique, du climat et de la reconversion des
industries “sales”.

Pour l’instant, quel diagnostic pouvez-vous dresser de ces trois entités?

Avec plus de dix années de controverses institutionnelles marquées par l’entrée
en vigueur du Traité de Lisbonne et les atermoiements face à la crise grecque,
le Vieux Continent perd ses repères, risque de rester prisonnier d’une
croissance de l’ordre de 1% par an et court ainsi vers une relativisation de sa
place dans le monde s’il n’arrive pas à capitaliser les opportunités du Sud, son
prolongement naturel, pour qui les émergents d’Asie font les yeux doux depuis
deux décennies. Le Maghreb s’en tire mieux avec une croissance élevée, mais qui
demeure inégale, inférieure au potentiel que lui donnent sa jeunesse et ses
talents, avec un chômage touchant les deux tiers des jeunes marocains et
tunisiens.

Quant à l’Afrique noire, soutenue par son dynamisme démographique, avec dans
quarante ans, 1,8 milliard d’habitants, elle peut postuler à un statut de
partenaire privilégié avec le Nord. Seulement, le continent est fragilisé par le
risque de pillage de ses ressources et le spectre des guerres civiles.
Finalement, seule une volonté commune peut permettre à l’Europe, au Maghreb et à
l’Afrique d’affronter les défis communs.

Le projet de l’UPM peut-il survivre à Monsieur Sarkozy?

Il s’agit d’un projet géostratégique, qui obéit à une logique historique,
économique et politique, dépassant, de ce fait, les lectures partisanes des uns
et des autres. La gauche, au temps du président Mitterrand, a appelé de ses vœux
l’émergence d’une communauté euro-méditerranéenne, prélude à un pôle
euro-africain, capable d’occuper une niche stratégique dans un monde très
concurrentiel, travaillé par une guerre économique féroce, marqué par une
évolution qui met en cause tous les fondements de la puissance publique.

A mon avis, 500 millions d’Européens ne compteront pour rien dans un monde où
l’unité de compte, c’est le milliard d’hommes. En un demi-siècle, l’Europe
passera de 8% à moins de 5% de la population mondiale, ce qui rend encore plus
urgent notre projection au sud de la Méditerranée et au cœur de l’Afrique
subsaharienne.