Tunisie : “Nous voulons développer le mind (cerveau) d’œuvre pour drainer des IDE”, affirme Mongia Khemiri de la FIPA

457 MDT d’IDE ont été investis à fin mars 2010 en Tunisie,
soit plus de 6,5% par rapport à la même période de l’année 2009. Les pays arabes
sont les deuxièmes à investir dans notre pays après l’Europe, alors que les
nouveaux secteurs porteurs sont l’électronique, la mécanique,
l’aéronautique,
les TIC et le développement de logiciels.

Les IDE évoluent au rythme de l’évolution de l’économie et de l’apparition de
nouveaux besoins et de nouveaux métiers.

La carte des IDE
à travers le monde change aussi, réorientation, relocalisation,
redéploiement semblent devenir les mots d’ordre des nouveaux investisseurs.

Entretien avec Mongia Khemiri qui préside aux destinées de l’Agence de Promotion
de l’Investissement extérieur (FIPA), interlocuteur privilégié de l’investisseur
étranger.

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Webmanagercenter : Quels sont les facteurs déterminants pour un
investisseur dans le choix d’un site ?

Mongia Khemiri : Il existe plusieurs facteurs mais l’importance de l’un
ou de l’autre dépend du secteur d’activité choisi par l’investisseur en
lui-même, de la taille de l’entreprise et du montant de l’investissement. Ceci
étant, le premier facteur pris en considération est celui de la stabilité
politique et sociale, aucun capital n’ira dans un pays où il existe un risque
sécuritaire et où les droits sont bafoués. Dans toutes les notations
internationales, la Tunisie bénéficie à ce niveau là d’une appréciation très
élevée.

Le deuxième facteur est la compétitivité d’un pays ou d’une région, l’émergence
économique d’un pays, le fait qu’un pays réalise une croissance ou pas, c’est le
fait de s’assurer que l’environnement d’affaires permet à l’entreprise de
réaliser des bénéfices et des gains. Une économie en berne ou dont la croissance
est négative n’offre pas un climat approprié à l’investisseur. Là également la
Tunisie a tiré son épingle du jeu en enregistrant un taux de croissance moyen de
5% sur plus de 20 ans et en période de crise de 3,1%. C’est notoire par rapport
aux capacités économiques du pays et à ce qui se passe autour de nous.

Parmi les facteurs de compétitivité, il y a également les indicateurs
macroéconomiques, l’inflation, la dette publique et la compétitivité du secteur
privé… La Tunisie est classée au 25ème rang mondial en matière de microéconomie,
ce qui représente une position honorable.

A coté de tous ces éléments, il y a d’autres facteurs importants, telles la
disponibilité, les compétences et les qualifications des ressources humaines, un
facteur de plus en plus déterminant pour ce qui est des activités de services
qui exigent des compétences pointues et hautement qualifiées, et c’est à ce
niveau là que se positionne la Tunisie. Nous nous positionnons sur tout ce qui
est technologique avec une montée en gamme de l’économie et nous faisons valoir
les qualités de nos ressources humaines.

La Tunisie est également connue par son investissement massif dans l’éducation
qui représente 7% du PIB avec 1,5% consacré à la recherche et développement,
c’est l’un des facteurs cruciaux que les entreprises considèrent. Nous sommes
bien classés en ce qui concerne la qualité de notre enseignement supérieur qui
est en train d’être réformé pour être plus proche des besoins de l’entreprise.
Nous avons bien sûr besoin d’un enseignement qui anticipe les besoins de l’entrepreneuriat
privé.

Qu’en est-il de la formation professionnelle, pour les projets lancés en
Tunisie, on en a besoin également ?

Au niveau de la
formation professionnelle, nous étions à 60.000 postes dans les
années 80, aujourd’hui nous sommes à 400.000 postes. Nous avons développé des
partenariats avec le privé, il y a beaucoup d’entreprises qui ont mis en place
leurs propres centres de formation, d’anciennes entreprises mais également de
nouvelles, le plus récent est celui d’Aérolia, il y a un à Menzel Jmil sur
l’électronique, un autre toujours sur l’électronique avec Tunera, un autre sur
le textile. Il y a également une coopération très poussée entre les universités
étrangères et tunisiennes (Université de Munich et celle de Tunis, par exemple).

Qu’en est-il des réformes mises en place pour l’amélioration du climat
d’affaires en Tunisie, certains économistes prétendent qu’à force de promulguer
des lois et des réformes, on se perd dans les méandres des procédures
administratives et réglementaires, ça ne simplifierait pas forcément la vie des
investisseurs…?

C’était relativement vrai, il y a quelque temps, ça ne l’est plus aujourd’hui. A
titre d’exemple, le code unique depuis 1993 qui représente un grand pas pour
nous. C’est un code qui régit toutes les activités industrielles, de services ou
de commerce en matière principalement d’incitations fiscales ou financières et
de procédures d’agrément. Depuis, il y a eu plusieurs réformes et c’est normal,
l’économie est dynamique, elle évolue, les lois doivent suivre. Ceci étant,
toutes les réformes ont été réalisées pour alléger et améliorer la situation du
climat des investissements et des affaires, il n’y a jamais eu de recul. Tant
qu’il n’y a pas de remise en cause des avantages accordés ou des facilités
offertes aux promoteurs, le problème ne se pose même pas.

En 2007, une loi sur l’initiative économique a été promulguée et elle a consacré
la liberté d’investir dans tous les secteurs avec une liste négative. On a
reproché à cette loi le fait d’exclure un certain nombre d’activités, ce qui
n’est pas un frein à d’autres opportunités car il s’agit d’exceptions et non pas
de règles. Mieux que cela, la dernière décision présidentielle de créer un
vis-à-vis unique au sein des départements ministériels et d’un recours au niveau
du Premier ministère a pour rôle de simplifier et d’accélérer toute création
d’entreprise. Cette initiative vise à accompagner tout promoteur dans de
nouveaux métiers qui ne sont pas encore régis par les textes de loi. Depuis
2007, la liberté est la règle, l’autorisation est l’exception.

Quels sont les secteurs les plus porteurs d’IDE ?

Aujourd’hui, c’est indiscutablement l’électronique, les industries mécaniques et
électriques qui prennent le dessus sur les autres activités en termes
d’investissements et en termes d’exportations. Nous avons des locomotives
nationales en la matière qui s’internationalisent et drainent des partenariats
étrangers très intéressants.

Il y a d’autres activités émergentes tels l’aéronautique, les TIC et le
développement de logiciels (c’est le secteur le mieux positionné pour le
développement de partenariats réussis avec les Tunisiens). Nous assistons
aujourd’hui à l’émergence d’une classe de jeunes promoteurs très compétents et
en mesure de soutenir des partenariats de très hauts niveaux technique et
technologique. D’autre part, ce ne sont pas des investissements très
capitalistiques, donc les jeunes porteurs de projets ne sont pas inhibés par la
faiblesse des financements.

D’autres nouveaux créneaux qui prennent de l’ampleur, à savoir
l’agroalimentaire,
l’agriculture biologique à laquelle on a réservé des terrains
dont la taille a été multipliée par cinq par rapport à celle qu’elle occupait.

Pour ce qui des secteurs classiques, ce sont les textiles et l’industrie du cuir
et chaussures qui continuent à se développer avec une montée en gamme notoire
particulièrement pour ce qui est du textile. Nous cherchons à développer des
métiers nouveaux tels les tissus techniques qui se développement de plus en
plus.

Au niveau des marchés extérieurs, y aurait-il des marchés qui reculeraient
plutôt que d’autres, d’autres qui avancent ? Est-ce que vous ciblez par vos
actions des marchés plutôt que d’autres ? Quels sont vos critères de choix ?

Nos partenaires classiques continuent sur leur lancée et ce sont, bien entendu,
les pays européens. C’est normal, l’investissement suit les échanges
commerciaux. La France continue à être notre premier partenaire, il y a une
reprise notoire au niveau de l’Allemagne parce qu’à un certain moment, les
investissements allemands ont été réorientés vers l’Allemagne de l’Est suite à
la réunification des deux Allemagnes.

Aujourd’hui, l’Allemagne lorgne de nouveau du côté de la Tunisie, nous venons
d’inaugurer une entreprise allemande, le Continental à Bizerte. La Tunisie est
aujourd’hui considérée par les Allemands comme étant un site stratégique pour
les implantations futures.

L’Italie va à un rythme conséquent, dans ce pays, il y a beaucoup de PME qui
supportent mieux la crise que les grandes entreprises et possèdent une certaine
souplesse qui leur permet de se redéployer plus facilement. Au Fortronic
organisé récemment à Tunis, 50 entreprises italiennes ont participé ; pour
l’année prochaine, nous réorganisons ce salon avec les Italiens et les Français.

Est-ce que vous vous orientez vers la diversification des marchés ?

Evidemment. Nous avons une centaine d’entreprises suisses qui travaillent sur la
Tunisie et 96 américaines hors énergie, à l’entendre, cela surprend plus d’un.
211 entreprises en provenance de pays arabes sont implantées dans notre pays.
Les pays arabes sont les deuxièmes au niveau des flux des capitaux, près de 40%,
à destination de la Tunisie après l’Union européenne. Nous sommes en train de
percevoir un intérêt palpable de la part des pays asiatiques. Le Japon et la
Corée du Sud offrent un fort potentiel, nous travaillons d’ailleurs avec le
Japon, d’ailleurs nous venons de recevoir une équipe de journalistes du Japon et
un documentaire sera diffusée sur la télévision japonaise sur la Tunisie. Nous
avons d’ores et déjà deux grands leaders japonais implantés en Tunisie, Yazaki
et
Sumitomo.

Comment est-ce que vous procédez à la promotion du site Tunisie sur les nouveaux
marchés ?

Nous participons aux manifestations économiques sectorielles et aux grandes
messes, telles
l’Exposition universelle de Shanghai au cours de laquelle nous
allons organiser une journée économique consacrée à la Tunisie, nous participons
également au Grand Forum de l’Investissement qui se tient en Chine chaque année,
nous organisons des opérations avec nos ambassades, l’année dernière, nous avons
participé à la Foire de Seoul qui a très bien réussi. Notre site a drainé
plusieurs milliers de visiteurs auxquels nous avons présenté des documents et
des brochures.

Nous profitons également des déplacements des hauts responsables de l’Etat pour
engager des pourparlers avec les grands groupes. Lors de mes déplacements avec
le ministre en Chine, en Corée et au Japon, j’en ai profité pour contacter LG,
Hyundai et d’autres firmes.

Nous étudions la possibilité d’ouvrir des représentations dans ces nouveaux
marchés. Nous travaillons sur l’Europe du Nord, la Hollande, le Danemark.

Et l’Europe de l’Est ?

Ils ne sont pas encore émetteurs d’IDE, pour l’instant nous assistons à un
certain mouvement de relocalisation au profit de la Méditerranée Sud et
particulièrement notre pays.

Parmi les raisons déterminantes pour s’implanter, certains investisseurs et
particulièrement les Américains exigent un environnement d’affaires transparent
où la bonne gouvernance, les bonnes pratiques et l’absence de corruption sont de
rigueur. Estimez-vous que notre pays répond à ces critères ?

Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les instances internationales qui le
confirment, Doing Business,
Davos, Transparency International,
CNUCED, les
rapports de
la Banque mondiale. La Tunisie est la mieux notée sur toute la
région MENA et l’Afrique, et ce sur tous les aspects que vous avez mentionnés.
Nous sommes très bien classés par rapport aux pays compétiteurs, à ceux qui sont
au même niveau que nous.

Personnellement, j’estime que ce sont là des critères qu’on avance pour faire de
la politique politicienne, car à voir le volume des investissements occidentaux
réalisés dans certains pays qui n’ont rien à voir avec ces critères, on est en
droit de se poser des questions. Les hommes d’affaires vont là où leurs intérêts
sont préservés, toutes les autres raisons ne comptent pas pour eux. Dans notre
pays les droits sont respectés contrairement à beaucoup d’autres.

La reprise des IDE, peut-on en parler aujourd’hui ?

La reprise ne peut pas se mesurer juste par rapport aux résultats que nous
enregistrons nous-mêmes. La reprise à l’international a été analysée par les
institutions internationales et elle est plutôt molle. Les rapports spécialisés
parlent d’une concentration sur les corps business des entreprises elles-mêmes,
la consolidation de l’existant. Parmi 240 multinationales interrogées l’année
dernière sur leurs perspectives de nouveaux investissements, 45% ont déclaré ne
pas en prévoir, le dernier rapport parle de 85%.

Nous pensons que les fusions acquisitions vont être quelque peu freinées, qu’il
n’y aura pas pour cette année des investissements majeurs car il y a une
surcapacité de production qui dépasse les besoins mondiaux. Par contre, ce sont
les PME qui investiront, elles sont sur des niches, nous sommes un petit pays
qui intéresse les PME sans oublier les filières qui n’ont pas été touchées par
la crise tels l’aéronautique, les Tics ou l’offshoring, le service financier,
l’expertise. Nous comptons axer nos actions sur ces activités dans l’avenir en
consolidant les acquis.

L’industrie génère des emplois et nous en avons besoin, les services ce sont des
activités à forte valeur ajoutée et le reliquat qui reste dans le pays est
beaucoup plus important que celui des activités industrielles en matière de
savoir-faire. «Pas la main-d’œuvre mais le mind (cerveau) d’œuvre».

Travaillez-vous avec les autres institutions pour promouvoir le site Tunisie ?

Nous avons d’ores et déjà 6 représentations à l’étranger, l’essentiel du travail
est assuré dans ce cas par nos bureaux. Nous sommes soutenus par les ambassades
là où nous ne sommes pas représentés, les missions économiques nous aident et
soutiennent nos actions lorsque nous les sollicitons.