Espagne : la dette privée, le vrai problème éclipsé par la dette publique

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Le premier ministre espagnol Jose Luis Rodriguez Zapatero le 27 mai 2010 au Parlement. (Photo : Dominique Faget)

[29/05/2010 11:34:58] MADRID (AFP) L’Espagne est sous la pression des marchés en raison de craintes sur sa dette publique, pourtant assez basse, mais son énorme dette privée menaçant la croissance pourrait être un problème bien plus grave, selon des experts.

“La dette du gouvernement est basse, mais le pays a une dette des entreprises et des ménages très haute”, liée notamment à l’immobilier, relève le cabinet d’analyse britannique Variant Perception.

“Il faut être clair, nous avons un endettement du secteur privé d’environ 178% du PIB, qui triple celui du public. Le défi est de garantir que le coût de financement, essentiellement celui du privé (…) n’étouffe pas l’économie”, a lancé jeudi à la tribune du Parlement le chef des députés socialistes, majoritaires, José Antonio Alonso.

Pour le Fonds Monétaire International, “le lourd endettement du secteur privé” est un “défi” pour l’Espagne, qui lutte déjà pour renouer avec la croissance (un modeste +0,1% au 1er trimestre).

Pourtant, ces dernières semaines, ce sont les déficits publics et leurs conséquences sur la dette publique qui affolaient les marchés, poussant le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero à imposer plus d’austérité.

Le fond du problème de la dette privée réside dans ce qui fut la corne d’abondance de l’Espagne pendant ses années de forte croissance, et qui est devenu son boulet depuis la récession en 2008: la bétonnière.

“Le fort endettement des entreprises et des ménages est concentré dans le secteur du logement”, relève l’OCDE.

En pleine bulle immobilière, dans ce pays où la tradition est d’être propriétaire, les ménages ont pris des crédits plus lourds pour investir dans la pierre, les promoteurs ont lancé des projets pharaoniques, et les banques ont prêté à tour de bras.

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à Madrid (Photo : Dominique Faget)

Mais la bulle a éclaté et le chômage est monté à 20%, les entreprises se sont retrouvées étranglées par la récession, et les banques ont récupéré des immeubles surévalués.

Pour Albino Prada, professeur d’économie à l’université de Vigo (nord-ouest), “avec un taux de chômage de 20% et un ajustement fiscal (hausse d’impôts et baisse des dépenses sociales, ndlr) le défaut de paiement (de certains ménages) est inévitable”, tandis qu’entreprises et petites banques sont aussi sous pression.

Le ministre de l’Equipement José Blanco désignait récemment la racine du mal dans El Pais: “La plus grande autocritique que je puisse faire (…) c’est de ne pas avoir combattu avec plus de détermination la bulle parce que cela aurait pu nous éviter certains problèmes, surtout l’endettement privé”.

“Le souci, c’est qu’une partie de cette dette est entre des mains étrangères”, souligne Rafael Pampillon, économiste à l’IE Business School à Madrid.

Selon le McKinsey Global Institute, 71% de la dette totale espagnole était à l’étranger en 2008, donc chez des prêteurs potentiellement échaudés par les doutes qui ont saisi les marchés sur la dette espagnole, fut-elle publique, et qui pourraient hésiter à refinancer.

Si ces créanciers “sont en zone euro, ce n’est pas grave. S’ils sont en dehors et qu’ils se disent que la zone euro, +c’est mort+, cela pose un vrai problème”, analyse Jesus Castillo, économiste chez Natixis à Paris.

“Le taux auquel les entreprises se financeront sera plus élevé (…) Comment est-ce que l’on finance l’investissement ? Qu’est-ce que cela implique pour la croissance à long terme ?”, s’interroge-t-il.

Et le désendettement n’est pas sans risques: l’agence de notation Fitch a baissé vendredi la note de l’Espagne car le “processus d’ajustement vers un niveau plus bas d’endettement privé et extérieur va matériellement réduire le taux de croissance”.