Les Allemands, champions de l’inquiétude

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érence de presse, le 18 juin 2010 au palais de Meseberg, près de Berlin (Photo : Johannes Eisele)

[20/06/2010 13:36:04] BERLIN (AFP) Leur nation est l’une des plus riches du continent, leur économie tient la forme, et pourtant les Allemands sont des champions de l’inquiétude en Europe, consommant peu et épargnant tous azimuts, dans un pays qui vieillit à toute vitesse.

“Ils se font plus de souci que jamais”, relève l’Institut GfK dans une étude ce mois-ci. La liste des craintes a “explosé” et aucun autre peuple ne s’angoisse autant pour l’avenir, selon cette enquête portant sur l’Europe de l’Ouest, la Pologne et la Russie.

Les Allemands, quel que soit leur milieu social, s’inquiètent d’abord pour l’emploi -comme toujours depuis vingt ans, souligne l’institut-, mais aussi pour la stabilité du pays. Ils ont peur de l’inflation, redoutent que le système de santé s’écroule, craignent pour la pérennité des retraites…

D’autant que leur pays vieillit beaucoup plus vite que d’autres en Europe.

Chez Ideal Versicherung, assureur spécialiste des cinquantenaires et plus, on constate que “la clientèle a peur de l’avenir”, et la tendance est à la multiplication des contrats d’assurance (accidents, dépendance, obsèques…) “pour se protéger de tout”, dit le porte-parole Gerald Herde.

Joachim Gauck, candidat à l’élection présidentielle du 30 juin, pense que “la majorité des Allemands porte en son coeur l’amour de la sécurité”.

La peur de l’inflation, traumatisme hérité des années 20 où l’Allemagne plongea dans une tourmente qui fit le lit d’Hitler, est revenue en force avec la crise de l’euro: un habitant sur deux la redoute. Et comme les Allemands craignent de voir leur pécule réduit à peau de chagrin, ça ne les encourage pas à dépenser, soulignent les économistes.

La consommation allemande, maillon faible de la première économie européenne, reste molle, et le niveau d’épargne n’a jamais été aussi haut depuis 1993 – en moyenne 15,2% du revenu disponible, selon l’office des statistiques.

“Il y a un lien qualitatif entre vieillissement de la population et consommation faible”, relève l’économiste Irwin Collier, de l’Université libre de Berlin. La proportion des moins de 40 ans fond d’année en année en Allemagne, quand celle des plus de 60 ans prospère. Or “à partir de 45 ans, on épargne pour les vieux jours, et à 65 ans, on dépense à nouveau”… quand on a l’argent pour, ce qui est loin d’être le cas de tous les retraités.

En outre, “quand les temps apparaissent incertains, on retarde les dépenses qui ne sont pas absolument indispensables et on met de côté pour l’avenir. C’est le cas en Allemagne”, relève l’économiste.

La crise est pourtant passée en Allemagne. Le marché du travail a bien résisté, l’heure est aux nouvelles embauches, la production va croissante, les exportations sont en forme…

Mais les Allemands doutent de la solidité de la reprise, selon le GfK.

“Et il y a des sociétés où traditionnellement on épargne, pour des raisons historiques ou sociétales. L’Allemagne en fait partie – comme la Chine, où on économise pour ses vieux jours, parce qu’on ne peut pas compter sur une retraite”, dit M. Collier.

“Les consommateurs allemands restent ceux qui épargnent le plus en zone euro”, renchérit l’économiste Carsten Brzeski (ING).

Au grand dam de pays comme les Etats-Unis, qui aimeraient voir la demande intérieure allemande décoller et doper la croissance mondiale.

Le gouvernement d’Angela Merkel, qui prévoit plus de 80 milliards d’euros d’économies budgétaires sur quatre ans pour assainir les finances publiques, estime qu’il montre ainsi la voie de la sagesse et qu’il en résultera un climat de confiance propice pour l’économie en Allemagne et au-delà.

A Washington, on rétorque que Berlin, avec son tour de vis, risque surtout d’étouffer la reprise.

Une critique pas infondée, selon Irwin Collier. “Quand l’Allemagne éternue, d’autres pays peuvent tomber malades”.