Internet, méprisé hier, est devenu incontournable pour le luxe

Par : Tallel

commerce-ligne-1.jpgPARIS (Reuters) – Les insolents taux de croissance des ventes de luxe sur internet pourraient avoir raison des résistances d’un secteur qui opère une mue lente mais réelle envers un canal de distribution longtemps méprisé.

Les grandes marques de luxe ont été longtemps rétives vis-à-vis d’internet, synonyme selon elles de commerce de masse nuisant à leur image et propice à la vente de produits contrefaits.

Mais les ventes en ligne ont bien résisté à la crise et nombre d’acteurs du luxe veulent aujourd’hui combler leur retard.

“La crise a entraîné un mode de consommation plus discret qui a directement profité au commerce en ligne”, commente Uché Okonkwo, directeur au cabinet de conseil Luxe Corp et auteur du livre “Luxury Online”. “Aux Etats-Unis, c’est frappant. Les ventes en ligne ont dou blé en 2009 dans le luxe, la mode et les accessoires”, ajoute-t-elle.

La part du commerce en ligne dans les ventes mondiales de produits de luxe reste encore faible – elle est estimée à moins de 3% en 2009 – mais elle est en très forte croissance.

Elle devrait atteindre 4% cette année et près de 5% en 2011, selon les estimations du cabinet Precepta.

Les ventes de luxe sur internet ont soldé une année de crise sur une hausse de 20%, selon le cabinet de conseil Bain & Co, alors que le secteur a subi, en 2009, la plus forte contraction de son histoire avec des ventes en baisse de 8%.

Internet, outil de communication

Jusqu’ici, les ventes en ligne étaient surtout portées par des “pure players” comme Net-a-porter, Brandalley ou Yoox, des sites de déstockage qui ont progressivement vendu les collections en cours, avec l’aval des marques.

Certains ont vu leurs ventes exploser, notamment aux Etats-Unis, ou un site comme guilt.com, a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 170 millions de dollars en 2009 après seulement deux ans d’existence.

Le récent rachat au prix fort de Net-a-porter.com par le géant suisse Richemont, propriétaire des joaillers Cartier et Van Cleef & Arpels et des horlogers Jaeger LeCoultre ou Piaget, témoigne de l’intérêt jugé stratégique de ce canal de distribution.

Aujourd’hui, les groupes de luxe eux-mêmes voient dans le commerce en ligne la possibilité de toucher un nouveau public, plus jeune ou simplement plus éloigné de leurs boutiques en dur.

“Internet est un outil devenu incontournable pour renforcer les liens avec la clientèle et toucher de nouvelles cibles”, note Uché Okonkwo.

Ils veulent aussi profiter du formidable levier que sont les réseaux sociaux qui ont une influence grandissante dans les décisions d’achat des consommateurs.

“Internet c’est important, non pas tellement pour vendre, mais comme outil de communication”, a déclaré Francesco Trapani, directeur général du bijoutier Bulgari, lors du sommet du luxe organisé par Reuters.

Stratégies encore disparates

“On entre dans un mode de distribution à double canal où une synergie existe entre le commerce en ligne et les boutiques physiques”, relève un industriel du luxe ayant souhaité garder l’anonymat. “Offrir ce double canal devient pratiquement une exigence aujourd’hui”, ajoute-t-il, estimant que d’ici cinq ans, la part du e-commerce serait “significative” dans la distribution de produits de luxe.

Aujourd’hui, la présence des groupes de luxe sur Internet reste très disparate.

Alors que certains veulent combler leur retard, d’autres sont très discrets, comme Chanel, à peu près inexistant, ou Hermès qui ne réalisait, en 2009, que 0,7% de ses ventes en ligne. Bien qu’appelée à progresser, cette part restera “marginale” dans les ventes du groupe, a assuré le gérant d’Hermès, Patrick Thomas, devant l’assemblée des actionnaires.

A condition que cela ne nuise pas à l’image de leur marque, de nombreuses maisons passent des partenariats avec des sites, soigneusement choisis par elles, pour vendre leurs produits.

En avril, le secteur a obtenu de la Commission européenne de pouvoir garder le contrôle de ses réseaux de distribution, jugé crucial pour des marques qui font l’objet d’investissements souvent colossaux.

Les grands acteurs du luxe comme LVMH ou Gucci (groupe PPR) refusent de donner des indications sur la part de leurs ventes réalisées sur internet.

Selon Delphine Ancel, du cabinet Precepta, le pôle luxe du groupe PPR propose de la vente en ligne pour l’ensemble de ses marques, y compris celles de joaillerie, où Boucheron offre par exemple presque toute sa collection à la vente sur internet.

Certaines marques comme Dior ou Vuitton (groupe LVMH) refusent, pour des questions d’image, d’être distribuées par des “pure players” mais sont dotées de sites marchands offrant, encore très partiellement, leurs collections aux acheteurs en ligne.

“Il y a deux ans, je n’aurais jamais imaginé vendre des robes du soir sur internet. J’avais complètement tort”, a reconnu Alexander Bolen, directeur général d’Oscar de la Renta, lors du sommet du luxe de Reuters.

Edité par Jean-Michel Bélot

 

Source : http://bourse.challenges.fr/news.hts?menu=news_actualites&urlAction=news.hts%3Fmenu%3Dnews_actualites&idnews=RTR100616_0065F08G&numligne=11&date=100616