Le Conseil Economique et Social a accueilli, la semaine dernière, un débat très riche sur les industries culturelles en Tunisie sous la présidence de M. Sadok Chaâbane, président du Conseil et en présence de M. Aberraouf El Basti, ministre de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine. Ce débat, qui n’est pas le premier du genre que nous connaissons, dénote l’importance des questions que les autorités publiques et monsieur tout le monde se posent sur la faiblesse notoire du développement des industries de la culture dans un pays qui s’enorgueillit de son héritage multimillénaire et de son élite cultivée.
D’ailleurs, après les chiffres catastrophiques sur la lecture et l’usage des livres publiés en marge du dernier Salon du livre de Tunis, le constat que le ministre de la Culture a dressé n’en est pas moins alarmant concernant le financement et le développement des industries culturelles. C’est encore l’Etat qui, à travers des financements qui atteignent environ 8 MDT, se charge de la plus grosse part de l’investissement dans le secteur. Le secteur ne représente qu’un pourcentage infime dans le PNB et l’investissement privé y est presque symbolique. Évidement on peut toujours dire que cet investissement public n’est rien comparé à d’autres secteurs qui reçoivent beaucoup plus des deniers publics pour d’autres raisons, cependant, les choses sont autrement plus complexes et le manque des données scientifiques exactes ne simplifie pas les choses.
Il faut souligner, d’abord, qu’en dehors du marché américain et accessoirement celui de l’Inde pour le cinéma, il est rare, même dans les pays développés, de trouver une industrie culturelle qui ne soit pas subventionnée par les pouvoirs publics à des titres divers et à travers des mécanismes ingénieux.
D’autre part, il faut également mettre en exergue que le développement mondial, aujourd’hui, se fait en grande partie à travers les industries dites de savoir, dont le contenu culturel est un vecteur majeur. En affichant, comme nous le faisons, notre adhésion à cette société comme un des grands défis de notre développement, il va falloir se pencher sérieusement sur notre production culturelle comme nous nous soucions de notre production énergétique, industrielle ou agricole.
Or, le chantier est pharaonique, il faut bien se l’avouer. La propriété intellectuelle n’est pas respectée comme il se doit, y compris par des établissements publics qui diffusent, impriment, utilisent, un patrimoine culturel pictural, musical, cinématographique ou autre, dont les propriétaires sont ignorés moralement et pécuniairement. Il faut savoir à ce propos que, sous d’autres cieux, l’utilisation d’un couplet musical dans la musique d’ambiance d’une gare induit automatiquement le paiement des droits à qui de droit.
La production culturelle n’est pas une production comme les autres, et de ce fait, elle n’est pas sujette à être taxée comme les autres produits si elle n’est pas carrément exempte des taxes diverses. Les taux de TVA pour les journaux et les périodiques en France, par exemple, avoisinent le zéro pourcent, et les tarifs postaux pour les biens culturels sont beaucoup moins chers que ceux des autres envois.
Devant une infrastructure cinématographique sinistrée comme la nôtre, il va falloir inventer des recettes miracles pour amener des privés à construire ou à gérer une salle de spectacle surtout que la numérisation et l’accès au streaming finira par fermer les dernières salles qui résistent.
Les producteurs de musique et des spectacles musicaux se lamentent devant le règne du bon vouloir des marchands de cassettes et des CD piratés.
Tout le patrimoine audiovisuel entassé dans les archives de la Radio et la télévision nationales pourrit dans l’ombre quand nos deux chaînes «publiques» ne daignent pas les diffuser et achètent à grands frais des soaps opéra turques ou autres. Aucune de nos deux chaînes n’a une soirée cinéma ou théâtre hebdomadaire, quand partout dans le monde occidental les chaînes publiques ont des quotas de diffusion obligatoire de la production nationale à laquelle elles sont tenues à participer au niveau de la production.
L’aide de l’Etat au cinéma, au théâtre, au livre et aux autres produits culturels n’est en aucun cas suffisante bien que nécessaire. Cependant, il faut cesser de croire que les investisseurs privés ou les entreprises en général vont plus s’investir dans la culture s’ils n’y trouvent pas leurs comptes, sonnants et trébuchants. Défiscaliser l’investissement culturel ne paraît pas suffisant pour les y amener, ils leur faut du gain, et le gain est régi par les règles du marché qui favorisent les produits grands publics. Or, nous sommes encore au stade de croire que l’art est un luxe pour une minorité capable de payer 20 DT pour un billet de théâtre ou 1.000 DT pour une toile. Ces produits culturels là ne peuvent exister qu’avec à côté des produits grand public qui drainent les foules et font des véritables marges pour l’investisseur.
Il suffit d’observer ce qui se fait dans les pays européens pour voir que les grands artistes et les metteurs en scène de la catégorie «art et essai» ne drainent pas les foules, mais que se sont les stars de la télé, de la musique hip hop et du théâtre de variété qui font le plein des salles.
La culture a besoin d’une révolution pour enfanter une industrie digne de ce nom. Et la révolution exige souvent la table rase de ce qui précède afin de bâtir du nouveau !
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