Rien ne se jette, tout se transforme. Vous l’avez compris, il s’agit d’une paraphrase du célèbre théorème de Lavoisier (“Dans une réaction chimique, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”). Les étudiants SIFE de l’Institut supérieur des Beaux-Arts de Tunis (ISBAT) en ont fait leur leitmotiv, allant même jusqu’à sacrifier des heures précieuses de sommeil et d’autres destinées à la préparation de leurs examens pour assurer le succès de leur entreprise.
Des prestidigitateurs, voilà ce qu’ils sont, mais pas pour créer de l’illusion, plutôt des objets réels qui ne désignaient pas grand-chose avant que l’imagination, la créativité et le savoir-faire ainsi que la volonté de changer le monde de ces jeunes étudiants les transforment en des accessoires, poufs, assises, tables, luminaires, porte-manteaux, étagères et même des bijoux.
Une seconde naissance à partir de rien.
Le Projet
Plus de 1.200 dinars cash pour leur première exposition et pour 12 mille dinars de commandes. Un projet indiscutablement porteur, celui de l’éco-design, entrepris par de jeunes étudiants bien décidés à introduire ce nouveau concept décoratif dans notre pays. «Nous voulons en faire une philosophie de vie», disent-ils. Les objets collectés et les matériaux de récupération utilisés pour la création d’objets design diminueront les conséquences néfastes de la pollution, ils aideront également des jeunes chômeurs vivant dans une situation de précarité à vivre du travail de leurs mains. Le coût est quasiment nul.
L’équipe SIFE ambitionne de sensibiliser les entrepreneurs qui pourront sous-traiter avec les ouvriers la fabrication de produits art et design. Les ouvriers seront assistés par un designer produit pour la conception des produits, un designer graphique pour l’imaginaire du produit et un comptable.
Un luminaire appelé pour la circonstance «Gratte-ciel» est fabriqué à base de plaques électroniques, nettoyées et découpées de façon symétrique et assemblées avec de la colle à chaud. Une lampe bouchon créée en soudant les bouchons de bouteille deux à deux en forme pyramidale, reposant sur un support métallique cylindrique. Un lustre à base d’ampoules appelés «Molécules» -quoi de plus original ? Grâce à un assemblage d’ampoules usées avec de la colle à chaud suivant une forme sphérique et une seule ampoule économique servant d’éclairage.
Des poufs aussi allant du transportable fabriqué grâce à la carcasse d’un écran d’ordinateur recouvert d’une plaque en contre-plaqué enrobée de mousse et revêtue de skie au pouf toys box, soit une boîte d’emballage en contre-plaqué, assise mobile recouverte de laine de mouton naturelle. Des chaises en bois créées avec un assemblage de morceaux de bois éparpillés avec des clous et de la colle blanche, des tables basses, des tables de coin, des porte-manteaux et même des salons baptisés big weel et fabriqués grâce à des pneus revêtus de skie, les dossiers sont des demi-pneus rembourrés de mousse et revêtus de skie.
Les étudiants SIFE des Beaux-Arts ont donc commencé par former des SDF à l’art du design. Ils ont élu domicile dans une Oukéla située à El Halfaouine. Soit un bâtiment sur deux niveaux abritant 50 chambres doubles pour 92 habitants. L’Oukala abrite deux WC sans porte et peu hygiéniques. Les habitants de l’oukélaa (lieu de vie transitoire) paient la nuit à 200 millimes. Ils n’ont ni travail fixe, ni revenu fixe.
Ils ont failli être lynchés par les habitants de l’Oukala
L’équipe SIFE a convaincu les SDF d’intégrer l’entreprise éco-design. Leur ambition était de réaménager six chambres pour assurer un minimum de confort et de propreté et assurer leur formation dans les meilleures conditions. Mais c’était sans compter sur la mauvaise fois du propriétaire de l’Oukala qui a monté contre eux les habitants prétendant qu’ils veulent les jeter dehors et s’approprier leur lieu d’habitation.
Il n’empêche, ces jeunes étudiants volontaires et tenaces ont tenu bon, ils ont réussi à convaincre deux jeunes hommes, qu’ils ont formé et qui ont reçu des certificats du délégué de l’ONA (Office national de l’artisanat) dans la zone de Tunis Medina.
Aujourd’hui, ils ont dû louer à leur propre frais un lieu pour stocker les matériaux récoltés et pour y installer les deux jeunes hommes formés par leur soin. 330 dinars de location, c’est trop pour de jeunes étudiants, alors que Tunis grouille d’habitations vides qui pourraient servir des causes aussi nobles que celle que défend l’équipe SIFE. Leur lettre au Maire de Tunis pour les aider à trouver un lieu de formation est restée sans réponse ! Aux dernières nouvelles, ils étaient décidés à envoyer une lettre au Premier ministre pour solliciter son soutien pour un siège à leurs activités.
Pendant des jours et des jours, Sarah, Zina, Asma, Mehdi et les autres ont planché près de 14h par jour pour reconstruire et recréer des objets voués à la disparition, ils leur ont donné une seconde vie. Ils ont réussi à exposer à la STB, l’ANGET, l’ambassade de Belgique et dans la petite ruelle marchande perpendiculaire à l’Avenue Habib Bourguiba. «Ce qui nous a étonné, c’est que les Tunisiens se sont intéressés à nos produits très in et les ont achetés, les touristes aussi, ce qui nous conforte dans l’idée que notre produit est porteur. SIFE nous a appris que nous décelons en nous des ressources insoupçonnables en matière de créativité, d’altruisme et de générosité, en matière de management et de gestion de projets également. Cette expérience est inédite pour nous et nous comptons bien la perpétuer».
Dix étudiants de première année ISBAT ont été déjà sélectionnés pour assurer la relève, ces jeunes voient loin et pensent déjà à la pérennité du projet qui ne doit pas s’arrêter aux personnes mais les dépasser pour inculquer une nouvelle culture, celle de l’entrepreneuriat social et environnemental.
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