Nous célébrons aujourd’hui le vingt-neuvième anniversaire de la Fête de la
musique. La longévité et le dynamisme de cet événement est en soi un témoignage
éloquent de la vitalité et de la place essentielle qu’occupe la création
musicale dans la vie et dans le cœur des Français. Tout aussi important, la
musique y prend pleinement sa dimension d’expérience collective, largement
diffusée, et partagée par tous.
Hélas, le monde de la musique a également fêté il y a peu un bien plus triste
anniversaire, celui de l’apparition en 1989 de Napster sur les réseaux, qui a
donné naissance à une véritable “économie parallèle” de la musique sur Internet.
Je ne reviendrai pas ici sur la problématique de la piraterie et sur la forte
perturbation qu’elle induit dans les circuits économiques de la création, et sur
la rémunération des créateurs et artistes.
Ces dix années de recul nous permettent de tirer quelques enseignements
concernant l’impact d’Internet sur les usages et la consommation du public. A
son apparition, la Toile a été encensée comme un outil sans pareil au service de
la diversité. Enfin, chacun allait avoir accès aisément à toutes les musiques,
toutes les cultures, chaque créateur rencontrerait son public, sans l’inutile
–voire nocive !– médiation des professionnels de la filière culturelle. Et les
gourous du Net de nous promettre derechef des lendemains qui chantent, grâce à
cette merveilleuse “longue traîne” qui allait permettre de faire vivre jusqu’au
plus confidentiel des créateurs.
UNE POLITIQUE CULTURELLE VOLONTARISTE
La réalité n’a qu’un lointain rapport avec ces prévisions idylliques. Internet
est certes le lieu d’un important foisonnement créatif. Cependant, en l’absence
de tout travail de sélection et d’éditorialisation, la quasi-totalité de cette
créativité se perd dans un magma indéterminé et infini. En contrepartie de cette
atomisation de l’offre, on assiste à une hyper-concentration des consommations
culturelles du public. Sur un service leader de musique en ligne, en 2009, à
peine dix œuvres ont été téléchargées plus de 25 000 fois. Et 20 millions
d’œuvres n’ont été téléchargées qu’une seule fois –je vous laisse imaginer quel
bénéfice leurs créateurs tirent des haillons de cette interminable traîne !
Loin de favoriser la diversité culturelle et le renouvellement de la création,
Internet tend donc à renforcer l’hégémonie des répertoires les plus connus et
les plus diffusés, et à uniformiser encore un peu plus la consommation
culturelle, notamment des générations les plus jeunes, au détriment des
créations locales. Il ne s’agit pourtant pas d’une fatalité.
Favoriser la diversité implique nécessairement une politique culturelle
volontariste axée sur l’offre : réglementation de la diffusion, quotas,
réflexion sur l’exposition des contenus. C’est ce que nos collègues du cinéma
ont intégré et pratiquent depuis fort longtemps. Une telle régulation reste à
inventer pour le secteur musical, en agissant globalement sur l’ensemble des
médias. Les chantiers ne manquent pas !
Depuis 2000, la diffusion de musique à la télévision a été divisée par deux sur
les chaînes généralistes aux horaires d’écoute significative : il y a urgence à
innover et à proposer des formats qui mettent en valeur la création musicale sur
nos antennes. Certaines radios dévoient le système des quotas en reléguant la
diffusion de musique francophone aux plages horaires où le public est absent :
une adaptation de la loi de 1994 serait donc nécessaire. Quant à Internet, pour
que ce réseau réalise pleinement son potentiel de creuset de la diversité, et
non qu’il en devienne son fossoyeur, les règles restent à imaginer… afin que les
futures Fêtes de la musique ne se jouent pas sur un accord unique.