Oui à l’entreprise. Oui à son implication dans l’éducation. Mais d’abord
favoriser l’esprit de libre initiative. Et se souvenir de créer de la valeur,
dans et non de s’inventer un job.
A quelques jours d’intervalle, deux manifestations d’importance se sont
déroulées à Tunis. Nous les devons à des organisateurs différents mais on peut
parfaitement les juxtaposer. En les mettant bout à bout on voit qu’ils
s’emboîtent parfaitement. Nous pensons au Forum de l’Atuge (Association
Tunisienne des Grandes écoles). A sa 19ème édition, il s’et penché sur la
manière de former des étudiants «prêts-à-l’emploi», on va dire. Et le second,
c’est le rendez-vous pour la première moisson de projets
SIFE, mouvement
universitaire international logé au Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) et piloté
par Khaoula Boussemma et dont l’objectif est de mettre les étudiants à l’épreuve
de l’encadrement de la promotion d’entreprises.
Entreprise-Université : une alliance à favoriser
A l’Atuge on est resté dans la cohérence des thèmes antérieurs. L’interrogation
de fond est de savoir comment optimiser la relation des compétences à
l’entreprise, une des clés majeures de la compétitivité du tissu économique. Les
forums antérieurs avaient posé les questions du réseautage, du nearshoring
notamment, mais actuellement la thématique remonte en amont et se penche sur la
relation entre employabilité et éducation. Focus est donc fait sur le segment de
la formation, cette fois.
Il faut rappeler que le concept d’employabilité a été introduit par Tony Blair
lors de son premier mandat de Premier ministre (en Grande-Bretagne). Sa
motivation était d’exonérer l’entreprise des frais de «stage» des jeunes
diplômés. Il se faisait le porte-voix du patronat anglais qui voulait, dans le
même ordre d’idées, généraliser la flexibilité.
Au plan social, il faut souligner que c’est une régression. Les tenants du
néo-libéralisme, c’est-à-dire cette théorie qui veut un Etat minimaliste, ne
rechignent pas à mettre à contribution l’Etat, malgré tout, dès lors qu’il
s’agit de se défausser sur lui de charges qui lui sont imputables.
Qu’importe, l’idée a fini par s’imposer et elle a connu diverses fortunes. Chez
nous, le SIVP a bien été un accélérateur d’embauche. On a su l’implémenter aux
couleurs locales, et à l’heure actuelle, on est mieux avec que sans. Il est vrai
que l’employabilité est un concept qui a su évoluer. A l’heure actuelle -et on
l’a bien vu lors des débats, au demeurant d’excellente facture de l’Atuge–
qu’il peut servir de levier à la réforme de l’éducation.
Cette réforme n’est ni de contenu ni même de forme. C’est bel et bien d’un
franchissement d’espèce qu’il s’agit. C’est le mode d’enseignement qui est
appelé à muter. L’université est appelée à s’ouvrir sur son environnement et
donc sur l’entreprise. Les diplômes sont appelés à être co-construits, nous le
soulignaient Samy Zaoui, président de l’Atuge, et Maher Barboura, président d’Atuge
France lors d’un récent entretien. D’ailleurs, dans certains pays, les
établissements eux-mêmes sont co-construits. Proche de nous, HEC Paris n’est pas
un établissement de l’éducation nationale mais en co-construction avec la
Chambre de Commerce de Paris.
Le concept de «street-corporation»
Chez SIFE, mouvement similaire aux jeunes
JCI (Jeune chambre internationale),
qui est un network international d’université affiliées. Le concept est inverse
de celui de l’Atuge. Il est d’inspiration pratique. Avec ce qu’ils savent, les
étudiants doivent, par la seule flemme du volontarisme, packager des projets et
motiver des tierces personnes à les diriger. Un bel esprit commando. Les
projets, en général, s’intègrent à ce qu’on appelle l’économie urbaine. Ce sont
pour la plupart des projets qui s’insèrent dans le périmètre citadin sans trop
se soucier de la dynamique économique à l’échelle du pays. Ce sont des projets
où l’on n’est pas tout à fait sur la chaîne de création de valeur. Ce sont des
formules qui valorisent des jobs. On ne peut pas faire la fine bouche et les
ignorer. Ils sont d’utilité publique. Ils dépannent plus qu’ils n’apportent une
solution définitive à l’emploi. Cela dit, ils nécessitent autant d’enthousiasme
chez leurs promoteurs que pour les grands projets -et nous saluons l’engagement
et la mobilisation des diverses équipes qui ont concouru au premier challenge.
Leur succès est double. De même que le soulignait John Antigua, responsable du
projet SIFE pour l’Afrique, ils ont bien montré que SIFE est une greffe et que
les étudiants tunisiens, à l’instar des étudiants des dix autres pays du
Continent qui adhèrent à ce projet, n’ont aucune tare entrepreneuriale d’ordre
génétique. Ils ont prouvé aussi que l’environnement d’affaires tunisien est à la
hauteur de la vitalité qu’on lui connaît et qu’il peut générer des kits de
projets viables et porteurs.
L’université doit garder son individualitéé
Il ne fait pas de doute que l’enseignement est à réinventer puisque son
environnement s’est profondément métamorphosé. Le diplôme, somme ascenseur
social ? Oui sans hésitation. La main tendue par l’entreprise est à saisir par
l’université. L’entreprise s’est détachée de l’université parce qu’elle a poussé
trop loin dans la logique de la Recherche-Développement. Elle a plus de moyens
que l’université qu’on a laissé paupériser, et cela de par le monde. Les
laboratoires et les moyens d’expérimentation de l’entreprise dépassent de très
loin les équipements universitaires au point que l’entreprise est devenue
elle-même productrice de savoir. C’est, de notre point de vue, un double sujet
d’interrogation. L’entreprise ne peut dépouiller l’université de sa vocation
première. L’entreprise sait trouver mais ne sait pas former. On ne peut
dissocier méthodologie et pédagogie. Le savoir doit dépasser son seul potentiel
pratique. La recherche appliquée est un grand gisement de production de
richesses. Mais la recherche fondamentale est indispensable et elle ne peut être
produite qu’à l’université. Et c’est un rempart irremplaçable. Et son milieu
naturel doit rester l’université autonome, contrôlée par les gens du savoir. Il
faut aller chercher des voies nouvelles ailleurs.
L’Atuge s’est tournée vers l’exemple finlandais qui est très avancé et qui
pourrait bien nous inspirer. Mais il faut bien garder à l’esprit que les
Européens du Nord considèrent que l’école est un projet éminemment politique car
il doit d’abord former des citoyens, à qui il faudra trouver du travail mais
aussi des citoyens soucieux de s’incruster dans le processus global de création
de valeur à l’échelle du pays.
SIFE prend exemple sur le modèle américain qui est extrêmement fécond et la
natalité entrepreneuriale américaine bat des records louables. Mais le système
américain est à plusieurs vitesses et on ne saurait s’en accommoder.
Plus proche de nous, nous voyons un pays comme la France qui n’hésite pas, pour
réformer son université, à s’endetter en lançant un Grand Emprunt pour restituer
à l’université les moyens de pouvoir préserver son pouvoir de négociation avec
l’entreprise et de faire prévaloir son identité.
Les exemples sont abondants. La Tunisie est tout à fait en mesure de trouver une
voie qui soit la sienne en ce domaine, si délicat. Ce serait un visa définitif
pour notre émancipation économique.
Pavé1 : “Le mode d’enseignement tunisien est appelé à muter“
Pavé 2: “L’entreprise sait trouver mais ne sait pas former. On ne peut dissocier
méthodologie et pédagogie. Le savoir doit dépasser son seul potentiel pratique“.