Mettre le Cap, jargon maritime connu, convient bien à notre escapade. Nous
allons mettre le cap sur Cap Serrat, l’extrême pointe nord sur les côtes
tunisiennes. Une plage magnifique, entre forêt, sable, montagne et mer bleu
azur, digne d’une carte postale des Seychelles.
Plusieurs routes mènent à Cap Serrat, puisqu’elle est accessible à partir de
Bizerte mais également à partir de Mateur. Il faut compter environ 120 km à
partir de Tunis jusqu’à l’eau. Il fut un temps où les puristes qui connaissent
cette plage non accessible que par 13 Km de piste pierreuse à l’époque taisaient
leur itinéraire afin de préserver la baie sauvage et belle…
Aujourd’hui, la plage est accessible pour tous après le bitumage des pistes. De
Bizerte, il faut prendre la direction de Sejnane et continuer à l’ouest jusqu’à
la bifurcation qui annonce Cap Serrat à 13 Km au nord.
Des travaux gigantesques menés, dernièrement, ont installé enfin un grand
barrage à l’intérieur des terres afin de récupérer l’eau de pluie des montagnes
environnante. La voiture s’insinue dans la baie qui dévoile la plage au loin et
se faufile parmi les cultures de tabac et les petites maisons éparpillées. Les
lauriers sont fleuris et foisonnent partout dans la vallée faisant tout de suite
penser au fameux proverbe tunisien : «la yeejbek nouar defla…».
Quand on discute fréquentation de la plage avec Si Mohamed Zahi, vieux et
presque patriarche des pêcheurs du coin, il ne tarit pas de “mélancolie“ sur les
bouleversements que le Cap a connu. «C’est la vie ! On était tranquille et les
gens qui venaient étaient des vrais amateurs, ils pêchaient ou souvent nous
achetaient notre pêche et avaient un amour et un respect pour le Cap qui les
faisait venir toute l’année et pas seulement l’été».
Si Mohamed Zahi ne nie pas que la route accessible a beaucoup facilité la vie
des gens du coin. Les enfants peuvent se déplacer à l’école, les courses se font
aisément de Sejnane avec les voitures de louage et les taxis collectifs.
Cependant, pour le vieux pêcheur, la foule n’est pas agréable à fréquenter et il
s’est souvent réfugié à la montagne avec ses chèvres. Il laisse la place aux
jeunes comme il dit.
Son fils Moncef, 35 ans, est plus nuancé dans ces appréciations. «Les gens
viennent de plus en plus et ce n’est pas plus mal. Souvent nous n’avons plus
besoin de transporter notre pêche jusqu’au port de Sidi Mechreg, on la vend ici
même et nos clients sont devenus des amis. Ils téléphonent de Tunis, de Bizerte,
de Béja et réservent leurs achats à l’avance».
Les habitants ici vivent principalement de la pêche et de l’élevage des caprins
et accessoirement de la culture du tabac, difficile et pas bien rentable à cause
du monopole étatique sur cette culture.
La voiture arrive devant l’unique boutique du village. Là s’arrête le bitume et
commence la plage de sable. L’endroit est pittoresque. La plage vient accueillir
dans ses vagues l’eau douce d’une petite rivière qui serpente entre les vallons.
Des arbres centenaires couvrent la rencontre de deux eaux par leur feuillage
ombrageux. Les familles se posent là où elles veulent et bivouaquent à droite et
à gauche de la rivière à quelque pas de la mer…
Mais le vrai Cap Serrat n’est pas là. Moncef Zahi se marre quand nous lui disons
que, vu de cet endroit, le Cap n’est pas si différent que ça d’autres plages.
«Le Cap Serrat n’est pas là d’abord. C’est la pointe de la montagne qui
s’enfonce là-bas dans la mer et au sommet de laquelle… Vous voyez le phare de
Cap Serrat. Tout au long de la côte vous pouvez continuer à découvrir d’autres
sites imprenables comme Cap Abbed ou Cap Negro ou encore plus près de Bizerte,
le Cap Blanc».
Avant d’arriver jusqu’à la plage de la route, il y a une piste qui bifurque et
s’enfonce à droite dans la forêt. Là les voitures ordinaires ne peuvent faire
que quelques mètres avant de s’enfoncer dans le sable. Souvent on voit des
petites cylindrées dont les prioritaires ont osé la piste sans savoir à quoi ils
s’attendent. On les faits sortir généralement en faisant appel au tracteur.
Seules des 4X4 ou équivalant peuvent aller jusqu’au bout de la piste d’environ 2
Km avant de devoir grimper la dune, et là ils se trouvent face à Cap Serrat. Le
Vrai. La forêt avance jusqu’aux dunes, ou jusqu’aux petites falaises escarpées
et tombant à pic dans l’eau bleue, belle et glacée.
Arrivé à ce point ultime du territoire tunisien, vous avez à votre gauche une
petite crique où les pêcheurs vaquent à leur tâche et préparent leurs outils. A
droite, au delà de la mer bleu azur, au loin il y a Bizerte. Derrière vous, plus
près de la forêt, quelques tentes et deux ou trois petites bâtisses construites
par les vacanciers et les pêcheurs et partout le silence total hanté uniquement
par les bruits des vagues. On ne fait rien dans ces cas. On se met en maillot et
on plonge.
Publié sur WMC Le Mag n°13