Milliardaires donateurs : l’exemple américain a peu de chances d’être repris en France

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épouse Melinda, et Warren Buffet, à New York le 26 juin 2006. (Photo : Nicholas Roberts)

[06/08/2010 11:15:27] PARIS (AFP) L’engagement public de quarante milliardaires américains à verser la moitié de leur fortune à des organisations caritatives a peu de chances de se produire en France, même si les mentalités et la législation ont évolué au cours des dernières années.

Les “grandes fortunes qui ont bon coeur sont bien plus présentes aux Etats-Unis qu’en France, c’est une tradition anglo-saxonne”, remarque Valérie Daher, directrice de la communication d’Action contre la faim (ACF).

“On imagine mal Bernard Arnault (patron du groupe de luxe LVMH, première fortune de France) ou Gérard Mulliez (groupe Auchan, deuxième fortune) faire la même chose”, poursuit-elle.

“Je ne suis pas sûre que l’exemple des grandes fortunes américaines soit suivi en France, car nous n’avons pas le même rapport à l’argent”, renchérit Marie-Charlotte Brun, responsable du marketing et des dons à Médecins sans frontières (MSF). “L’argent n’est pas un sujet tabou aux Etats-Unis”, souligne-t-elle.

De fait, un fossé culturel sépare la France des Etats-Unis au sujet du “charity-business”. Outre-Atlantique, le don fait partie de la norme, voire de l’obligation sociale pour les plus aisés, et s’en trouve d’autant plus médiatisé.

“La culture est différente”, explique Agnès Lamoureux, directrice de la communication à la Fondation de France. “En France, il y a une grande générosité, mais ça se fait dans la discrétion par rapport aux Etats-Unis où le rapport à l’argent et à la fortune n’est pas du tout le même.”

“Et puis, c’est la culture anglo-saxonne”, poursuit-elle, “où l’Etat est moins présent et donc la tradition de redonner à la société est quelque chose de plus courant qu’en France.”

A titre d’exemple, elle indique que la Fondation de France a récemment reçu un legs de 130 millions d’euros d’une généreuse donatrice sans héritier, ce qui est “exceptionnel”, relève-t-elle. Or, les fortunes de Bill Gates et Warren Buffet, les initiateurs du “giving-pledge” (l’engagement des 40 milliardaires américains, NDLR), sont respectivement évaluées à 53 et 47 milliards de dollars, ce qui porterait le montant de leur don commun à 50 milliards de dollars s’ils tiennent promesse.

Par ailleurs, alors que les Américains donnent leur argent pour financer les hôpitaux, les écoles ou simplement les parcs publics, il est acquis en France que c’est l’Etat qui est chargé de la redistribution sociale, souligne Monique Pinçon-Charlot, sociologue et coauteure avec Michel Pinçon du livre “Les Ghettos du Gotha”, paru au Seuil.

“La France est un pays républicain où la solidarité citoyenne, à travers l’impôt, donne à l’Etat la responsabilité de répartir les richesses accumulées dans les familles les plus riches au bénéfice de celles qui n’ont pas cette chance”, relève la sociologue.

Enfin, elle estime que les milliardaires américains qui ont pris cet engagement “vont retirer un capital social qui n’a pas de prix, c’est-à-dire une reconnaissance de leur place dans la société, dans la classe dominante”.

Alors qu’en France, cette reconnaissance de “l’excellence sociale” passe en grande partie par l’appartenance à des dynasties de grandes familles fortunées, ce “qu’on ne peut pas acheter”.

Reste que “la philanthropie se développe” dans l’Hexagone depuis plusieurs années, grâce notamment à une législation fiscale plus favorable, observe Agnès Lamoureux. Et que malgré une culture de la discrétion plus prégnante en France, les donateurs hésitent moins désormais à faire apposer une plaque rappelant leur don, assure-t-elle.