Quand on évoque d’ordinaire le village de Douz, portail du désert tunisien, on pense immédiatement à l’image “carte postale de l’oasis de verdure“, installée au cœur des dunes du Grand Erg Oriental, à son Festival et ses dattes Deglet Nour. Cependant, comment vit-on à Douz quand les touristes ne sont pas là et quand l’été saharien s’installe ?
Car Douz est également une agglomération de plus de 35.000 habitants vivant au cœur du désert, dont l’été commence à la mi-avril et se poursuit jusqu’à mi-septembre en atteignant son pic vers fin juillet. Des rudes journées de chaleur intense, que les anciens appellent «harraguet el bissr», littéralement “les bruleurs des dattes jaunies“, et dont les températures atteignent comme en cette fin de juillet 2010 quelque 50° à l’ombre…
Les jeunes Mrazigue désœuvrés se racontent une blague fort éloquente à ce sujet. Il paraît qu’à Douz en été, il y a seulement la nuit et la canicule ! Dès 8H00 du matin, c’est la canicule et qui va crescendo jusque tard le soir après 20H00. Les températures commencent à descendre alors pour avoisiner les 32 ou 30 degrés. Ce qui est clément et seulement quand il n’y a pas de sirocco !
Le palmier, qui le travaille ?
Pour les habitants, les palmiers en cette époque de l’année réclament un travail presque quotidien. Les palmiers Deglet Nour s’apprêtent à murir et à cet effet tout naturellement le palmier perd beaucoup de ses dattes vertes non encore mûres pour alléger le poids des régimes. A ce moment, l’agriculteur doit quotidiennement ramasser ce qui tombent et équilibrer les régimes un à un sur les palmes les plus solides pour les soutenir au moment du mûrissement et quand leur poids devient très lourd. Ce travail d’équilibrage «Taadil» est très complexe et demande de l’expérience et du doigté.
A ce propos, Am Jilani Ben Messaoud, propriétaire de quelque 60 palmiers, est très mécontent. «Il n’y a plus personne pour l’équilibrage. Mes enfants vivent en ville et quand ils viennent, ils viennent en touristes. Ils ne savent même pas monter un palmier de 5 mètres. Les jeunes ne veulent plus faire ce travail et je cherche depuis une semaine quelqu’un pour le faire mais en vain. Les quelques rares spécialistes sont tous pris et il faut attendre des fois 15 jours pour trouver un créneau ! Et j’ai peur de retarder mon équilibrage».
Les touristes se font rares pendant l’été, et en dehors de quelques bus servant à surmonter le surbooking des hôtels de la côte, personne ne s’aventure dans le sud tout au long des mois de chaleur. Mohamed Abdelaati, guide saharien chevronné et connu dans le métier depuis plus de 20 ans, est catégorique : «Pas de tourisme en été dans le sud ! C’est simplement invendable sauf rare exception. Alors il faut savoir intégrer cette donnée quand on parle de tourisme saharien, notre saison s’étale de septembre à mars avec un pic entre décembre et février. Les hôtels travaillent la moitié de l’année comme c’est le cas sur les plages en décembre».
La vie, malgré la canicule
N’empêche ! Le village en ce moment de juillet est en fête permanente, car chaleur ou pas, tous les mariages se font en été bien sûr. Le calendrier de Habib, chef d’un orchestre local, est plein jusqu’à deux jours avant le mois saint de Ramadan. Ce qui fait travailler le commerce quand même et vu que le mariage dure ici au minimum 3 jours et 3 nuits, ça chiffre ! Et ça anime un peu le quotidien de ces milliers de jeunes du pays qui sont la plupart du temps au café. Pour eux, le travail agricole, comme partout ailleurs, n’a pas la cote. Il ne paye pas assez. La majorité des jeunes de l’agglomération ne connaît pas d’ailleurs les règles de base du travail du palmier qui demande une attention soutenue toute l’année pour pouvoir, en octobre, vendre ses dattes au meilleurs prix.
Beaucoup de jeunes connaissent bien l’oasis et ils l’aiment mais pour autre chose. Le palmier donne le jus du palmier, succulent breuvage vendu dans tout le sud tunisien et obtenu par des techniques spéciales de coupe dans le cœur de l’arbre. Sauf que ce jus sucré peut être fermenté et produire ce que les gens du Jrid, à Tozeur, appellent le «quichem», l’alcool du palmier obtenu par différente techniques de fermentation de la plus rudimentaire à la plus sophistiquée. Il se vend très bien au point que l’oasis regorge de ses ateliers/laboratoires qui en fabriquent à 1D500 la bouteille d’un litre et demi. C’est moins cher que la bière et le vin vendu en magasin.
Quand la nuit tombe sur l’oasis, et après 20H00, on s’étale sur un léger matelas dans le patio de la maison arrosé à grande eau dès l’après midi et les veillées commencent alors dans la fraicheur du soir en attendant les premiers sons des trompettes des mariages qui débutent généralement vers 23H00.
Et demain sera un autre jour !
Publié sur WMC Le Mag n°18