Quand l’électricité vaut moins que rien en Allemagne

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éolienne près de Husum, dans le nord de l’Allemagne, le 27 juillet 2010 (Photo : Johannes Eisele)

[18/08/2010 09:28:11] BERLIN (AFP) Être payé pour acheter de l’électricité: le phénomène absurde des “prix négatifs”, auquel l’Allemagne a été plusieurs fois confrontée, illustre la cohabitation encore difficile entre énergies renouvelables et centrales traditionnelles.

Mercredi, le prix sur le marché “spot” de l’électricité de la bourse spécialisée EEX de Leipzig oscillait autour de 40 euros le mégawattheure.

Dans la nuit du 3 au 4 octobre dernier, il avait atteint jusqu’à -500 euros. En clair, le distributeur d’électricité se retrouvait à payer son acheteur pour se débarrasser de sa marchandise.

Sans atteindre toujours cette ampleur, ce phénomène s’est produit 25 fois l’an dernier et jusqu’ici quatre fois cette année, selon EEX.

Il s’explique par la coïncidence de deux phénomènes: faible demande (fête nationale du 3 octobre, Noël, vacances scolaires) et vents forts qui font tourner les éoliennes à plein régime.

Or en Allemagne, l’électricité issue des énergies renouvelables a priorité pour être injectée dans le réseau. Les distributeurs, les “grossistes en électricité”, sont obligés de l’acheter, à un prix garanti, quelle que soit la demande.

L’objectif est d’assurer aux propriétaires d’éoliennes et de panneaux solaires l’écoulement de leur marchandise.

Mais paradoxalement, cette électricité qui coûte “moins que rien” alourdit les factures des ménages allemands.

Les propriétaires des réseaux de distribution, obligés de récupérer à perte l’électricité verte, ont en effet le droit de faire supporter au consommateur final le surcoût engendré par ces prix négatifs.

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électrique de Frimmersdorf, à Grevenbroich, dans l’ouest de l’Allemagne, le 10 août 2010 (Photo : Patrik Stollarz)

Cette bizarrerie est par contre une aubaine pour les propriétaires de barrages, en Allemagne et surtout dans les pays limitrophes. Ils se font payer pour “acheter” l’électricité excédentaire, avec laquelle ils actionnent les pompes et remplissent les réservoirs.

Un jour de faible production et forte demande, ils ouvrent les vannes et produisent à leur tour du courant, qu’ils vendent à un prix élevé, gagnant ainsi sur tous les tableaux.

“Les prix extrêmes du 4 octobre sont un avertissement sans frais. (…) Le marché allemand de l’électricité peut être confronté à des dysfonctionnements massifs, et la principale victime en est le consommateur”, s’est inquiété récemment dans un communiqué le ministre de l’Economie, Rainer Brüderle.

“Avec le développement des énergies renouvelables, ce genre de situations va se multiplier”, a prévenu le ministre libéral, partisan de l’énergie nucléaire.

L’Allemagne veut doubler d’ici 2020 la part des énergies renouvelables dans la consommation d’électricité, de 10% actuellement.

Le phénomène des “prix négatifs” apporte de l’eau au moulin des partisans des énergies conventionnelles et surtout de l’atome. La chancelière Angela Merkel a promis d’allonger la durée de vie des réacteurs du pays.

“Le problème avec le vent, c’est qu’il y a des jours où il représente 0% de la production allemande d’électricité, et des jours où il produit plus qu’il n’en faut”, commentait récemment Fritz Varenholt, l’un des dirigeants du numéro deux allemand de l’énergie, RWE, propriétaire de nombreuses centrales nucléaires et à charbon.

“J’ai peur que l’incroyable soutien dont bénéficient les énergies renouvelables en Allemagne disparaisse” à cause du coût pour les consommateurs, conclut-il.

L’argument fait bondir Ronald Heinemann, porte-parole de la fédération BEE, principal lobby des énergies renouvelables.

“Les propriétaires de centrales devraient les fermer ou les ralentir lorsque des prix négatifs surviennent. Mais ils n’y ont pas intérêt car cela coûte cher, et qu’il faut du temps pour les redémarrer. Pour eux, mieux valent des prix négatifs”, assure-t-il.