La langue est un organe très sollicité pendant le Ramadan. On s’en sert toute la journée pour saliver, on essaie avec d’oublier la soif et on se permet même de rêvasser chorba et d’autres choses. Cependant, le musulman, le vrai, c’est-à-dire vous et moi inchallah !, ne jeûne pas uniquement en s’abstenant de manger et de boire mais également en se gardant de sa «langue». Eh! Oui !!
En temps ordinaire, le dialecte tunisien est connu pour être l’un des plus injurieux et des plus salaces de la langue arabe. Sentence attestée par qui voudrait bien comparer nos verbiages avec ceux de nos frères au Machreq et au Maghreb qui ne manquent pas de ressources en la matière bien sûr.
Au mois de Ramadan alors, tout bon Tunisien qui respecte son jeûne doit faire attention à ce qu’il dit et raconte par souci évident de bien accomplir son jeûne dans les bonnes règles d’Allah et de son Prophète.
C’est pour ça que les premières heures de la journée sont celles du blackout total chez plusieurs de nos compatriotes qui ne pipent pas mot en prenant le bus, ni en arrivant au bureau et même quand ils sont sollicités par les usagers de bureau, ils font en sorte d’utiliser le moins de mots possible…
C’est pour cela également que les criards vendeurs de fruits et légumes au marché se taisent surtout le matin, car de toute façon, rares sont les acheteurs qui pointent de leur nez le matin au marché et la matinée commence à vrai dire vers 11 heures et même après. Mais les langues se délient un peu à partir de 15 heures puisque le temps presse et ceux qui n’ont rien vendu doivent se débrouiller pour «marquer» leur journée. Alors ils crient à toute fin utile !
C’est pour cela également qu’on constate au mois de Ramadan la chute du taux des querelles conjugales. Face aux invectives des épouses -souvent axées sur l’achat de la malsouka ou du l’ben au dernier moment-, les valeureux époux, en bon musulmans qu’ils sont, retiennent leurs langues et s’en vont illico chez leur ami et bienfaiteur l’épicier du coin, et comme ça ils sont sûrs qu’ils auront de quoi rompre leur jeûne dans les meilleures conditions.
Retenir sa langue est un comportement généreux et citoyen qui manque d’ordinaire entre les voisins surtout dans les immeubles où on entend les voisins presque respirer ! Pendant le mois de Ramadan, on a l’avantage de ne plus subir les verbiages de celui d’en haut ni les gros mots de celui d’en bas. Evident, puisque nous mangeons tous au même moment, nous regardons tous la télé au même moment et nous mangeons encore le s’hour au même moment. Si ce n’est pas la vie d’un troupeau, ça y rassemble grandement !
Mais il y a quand même un hic dans ce bel arrangement qui ferait croire que nous sommes vraiment dans un laboratoire pour les meilleurs croyants. Un hic qui nous rend notre humanité avec ses erreurs et ses fautes aussi.
C’est à partir de 18 heures que la nature du Tunisien commence à reprendre le dessus. Commence alors vraiment la liberté des langues retenues toutes la journée… il y a bagarre verbale, et des fois plus que verbale, dans tous les moyens de transport public et même pour les taxis introuvables au moment de l’approche de la fatale heure de rentrer. Bagarre pour le pain chez le boulanger, bagarre pour le l’ben et malsouka, bagarre pour rien du tout s’il le faut mais pour se bagarrer car on jeûne et sous-entendu on a faim et soif et soif de paroles aussi !
Alors retenir sa langue est peut-être bien, ce qui est le plus difficile en Ramadan !