Grâce à un programme financé par l’Union européenne, les habitants de cette
ville du centre de la Tunisie valorisent leur patrimoine architectural –et
prennent conscience de la nécessité de le sauvegarder. L’eau et les ouvertures
de Kairouan constituent les deux thématiques autour desquelles plusieurs
activités seront organisées : concours de photographie, cours de formation pour
les jeunes, conférences, expositions…
KAIROUAN – Enseigner Kairouan aux Kairouanais ? C’est une action programmée pour
la rentrée 2010 dans quatre écoles de cette ville du centre de la Tunisie. En
effet, un outil pédagogique et didactique, élaboré par le projet Montada, sera
mis à la disposition des enseignants kairouanais, dans le cadre d’un projet
financé par l’Union européenne au profit de six villes maghrébines (Salé et
Marrakech au Maroc, Ghardaïa et Dellys en Algérie, Kairouan et Sousse en
Tunisie). Objectif : sensibiliser les habitants, à commencer par les plus
jeunes, à l’importance de la sauvegarde du patrimoine architectural.
Baptisé Montada, ce projet est entrepris dans le cadre du programme «Euromed
Heritage» doté d’un budget global de 17 millions d’euros et destiné à aider les
populations locales «à s’approprier leur patrimoine culturel».
Le patrimoine, un capital à valoriser
Pour atteindre cet objectif, Montada a programmé plusieurs activités
(communication via un site web dédié et les journaux, rencontres-débats,
assistance technique à la réhabilitation d’édifices, sensibilisation et
formation, initiatives culturelles pour la valorisation du patrimoine, etc.)
visant à faire prendre conscience à la population de l’importance de ce capital
d’un point de vue culturel, social, historique et économique.
Celui de Kairouan prend racine dans l’histoire islamique. Créée en 670 par Okba
Ibn Nafaa, commandant des troupes musulmanes lancées à la conquête de l’Ifriqiya
pour le compte de Muawiya, le calife omeyyade, cette ville –qui a donné son nom
au gouvernorat du centre de la Tunisie dont elle est le chef-lieu– a prospéré
sous la dynastie aghlabide, au IXe siècle.
Les nombreux vestiges de cette époque –notamment des monuments religieux (dont
la Grande Mosquée, la Mosquée des Trois Portes et la Mosquée du Barbier) et des
bassins aghlabides ayant servi à alimenter la ville en eau– lui ont valu d’être
classée en 1988 patrimoine mondial de l’UNESCO.
Lorsque l’ASMK (Association de Sauvegarde de la Médina de Kairouan) voit le jour
en 1977, le patrimoine architectural était, comme dans les autres cités
historiques de la Tunisie, gravement menacé. L’action menée depuis par cette
association, avec le soutien des autorités et des institutions patrimoniales, a
permis d’en arrêter la dégradation.
Toutefois, il reste beaucoup à faire en matière de sauvegarde et de
valorisation. Et cet effort supplémentaire requiert en particulier la
sensibilisation de la population avec toutes ses composantes, observe Mourad
Rammah, docteur en archéologie islamique et auteur d’une thèse sur Sousse. D’où
l’importance de tous les programmes financés à cet effet par l’Union européenne
–Discover Islamic Art, Rehabimed, Qantara, et notamment du plus récent parmi
eux, Montada– et auxquels Kairouan a pris part.
L’eau et les ouvertures de Kairouan
Comme dans les cinq autres villes maghrébines engagées, ce projet prévoit en
particulier la constitution, à Kairouan, de forums locaux, une version moderne
via Internet de l’Agora de la Grèce antique. Encadrés par une «Equipe
internationale et multidisciplinaire d’experts (EIDEIM)», ces forums ont pour
finalité d’impliquer les citoyens dans le débat sur la préservation du
patrimoine et de garantir «la pertinence et la durabilité de l’action,
l’enracinement à la réalité de chaque endroit et le succès et la qualité des
activités». Cela a été fait après discussion avec diverses associations et
organismes publics. Piloté à partir de mars 2009 par l’ASMK, le brainstorming a
abouti au choix de deux axes devant guider son action de sensibilisation.
Pour Kairouan, ce sera le thème de l’eau –«parce que cette ville, édifiée dans
une zone semi-aride, constitue sous cet angle un défi lancé à la nature.
Kairouan qui fut appelée au Moyen-âge la ville des citernes, a su développer un
système hydraulique ingénieux qui lui a permis de lutter contre la soif et le
manque en eau», clame M. Mourad Rammah, président de l’ASMK–, et le patrimoine
architectural représenté par les ouvertures : les portes et leur encadrement en
pierres sculptées et décorées, fenêtres et «Gannarias» (galeries saillantes en
bois) qui dominent les terrasses avoisinantes et offrent une vue panoramique de
la ville.
Sur le premier thème, l’ASMK compte mettre au point une signalétique et un
itinéraire de visite basés sur les principales installations hydrauliques :
bassins des Aghlabides, bassins de Raqqada, citernes de la Grande Mosquée ,
citernes du puits Bir Barrouta, etc. Une exposition permanente sur le thème de
l’eau sera réalisée sur le site des bassins des Aghlabides, au mois de janvier
2011, en plus d’un colloque sur l’eau au Maghreb au Moyen-âge.
Sur le second thème, l’ASMK a réalisé un concours de photographie pour des
jeunes qui ont pu découvrir la richesse du répertoire architectural kairouanais.
Car, estime Mourad Rammah, «on ne peut pas combler les faiblesses et éviter la
déperdition du patrimoine sans un travail en amont pour que les générations
futures soient plus conscientes de ces problèmes». En outre, des actions de
réhabilitation modèles de portes et fenêtres de l’architecture vernaculaire
kairouanaise seront menées par l’ASMK en collaboration avec les citoyens
propriétaires de maisons menacées de défiguration.