«Le tourisme tunisien, Jeux de mots, jeux de maux», œuvre de M. Wahid Ibrahim, ancien directeur général de l’Office national du tourisme et une des mémoires du tourisme de notre, vient de paraître.
Le livre, un abécédaire de 225 pages, passe au peigne fin, non sans humour, toutes les facettes du tourisme tunisien : produits, sites, infrastructure, aménagement des zones, structures d’appui, animation, promotion, concurrence, touristes, acteurs qui selon l’auteur, ont, à des degrés divers, contribué au développement du tourisme tunisien».
L’abécédaire, un témoignage historique d’excellente facture, ne se lit pas nécessairement dans l’ordre alphabétique, de A à Z. Le lecteur peut y naviguer à son gré et au gré des lettres, des mots et pages en toute liberté «de …pensées et ….sans autres formes de procès»
L’auteur, en fin connaisseur d’un secteur hautement stratégique, a eu beaucoup de mérite en mettant en exergue les faiblesses, entraves et incohérences qui plombent la filière. A titre indicatif nous en citons quatre.
Première faiblesse: les prix élevés d’alcool. Wahid Ibrahim écrit à ce propos : «Est-il normal qu’un touriste allemand ou autre ne puisse s’offrir une simple bière, lors de la visite d’un site archéologique, d’un musée, d’une médina ou d’un souk ? Est-il normal que le prix d’une dose de whisky prise dans un bar d’hôtel frise celui d’une demi-pension, voire d’une pension complète ? Il y a là autant de devises qui échappent à l’économie du pays et autant de raisons qui expliquent le peu d’animation dans les espaces extra hôteliers et même hôteliers».
Deuxième faiblesse: l’aménagement linéaire des stations touristiques. L’auteur relève que «l’aménagement des zones touristiques a toujours privilégié la linéarité en front de mer en prévoyant des îlots H comme «Hôteliers» mis côte-à-côte au point de constituer un véritable rideau de béton entre le front de mer et l’arrière-zone.
Et l’auteur d’ajouter : «cette “philosophie“, qui perdure jusqu’à nos jours, malgré quelques timides tentatives d’opérer différemment, est à la base de l’indigence en matière d’animation touristique et enfonce le clou de la “monotypie“ balnéaire de l’hébergement».
Troisième faiblesse : la fragilité du potentiel naturel en Tunisie. Là aussi, l’auteur se montre alarmiste : croire que la Tunisie dispose d’un potentiel naturel vaste et inépuisable relève de l’erreur. Les centaines de kilomètres de côtes ne doivent pas nous faire oublier leur extrême fragilité et la nécessité d’en préserver les équilibres fondamentaux. Il en va de même des autres sites naturels qui représentent des éléments essentiels de l’écosystème : zones humides, forêts, montagnes, oueds, ergs… Ignorer ces facteurs d’équilibre de la nature, c’est s’exposer à des bouleversements inéluctables et compromettre la viabilité et la durabilité de toute action de développement.
«Aujourd’hui, relève-t-il, et pour ne citer que ce qui est relatif au littoral, certains seuils critiques sont atteints. Une trop grande densification inhibe l’élasticité tampon naturel des dunes côtières et expose toutes les superstructures et les infrastructures réalisées à grand frais aux pires dangers».
Quatrième faiblesse : la commercialisation du produit. A ce sujet, M. Wahid Ibrahim fait remarquer que de nos jours, l’offre touristique en Méditerranée et ailleurs est devenue si abondante qu’on est passé d’un marché de producteurs à un marché d’acheteurs et de “consomm’Acteurs“. Un consommateur –acteur conscient de son poids sur le marché. C’est désormais lui qui fait la loi.
C’est lui qui commande. Une souris à la main, d’un simple clic, il adopte ou rejette une destination. Il publie même ses humeurs et ses réclamations en temps réels. Il a compris que le temps, c’est effectivement de l’argent. Et avant d’acheter, il pend son temps… sûr de trouver, au bout de quelques clics, des réductions et des conditions qui lui en donnent plus que pour son argent. A ces nouvelles attentes du touriste, s’ajoutent l’avènement de la déréglementation aérienne et l’apparition de nouveaux modes de transport tels que le lowc-cost, couronnant tout cela par une action drastique sur les tarifs aériens, rendant certaines destinations lointaines des Caraïbes ou d’Asie aussi compétitives que les îles de la Méditerranée».
Par-delà ces invulnérabilités, le livre est truffé de propositions pour y remédier. C’est aussi une invitation à la réflexion sur d’autres techniques et modes de commercialisation d’aménagement, de préservation de l’écosystème.
Le livre de M. Wahid Ibrahim est une véritable boîte à idées. Sa lecture à la veille de la consultation nationale sur l’étude stratégique pour le développement du tourisme à l’horizon 2016 est vivement recommandée pour ceux qui veulent penser le tourisme autrement.