Au classement 2010 des meilleures universités au monde, réalisé annuellement par l’Université chinoise de Shanghai, la première université tunisienne, en l’occurrence l’Université de Sousse, est classée 6719ème. Elle est talonnée par les universités de Tunis El Manar (6729e), de Sfax (6996e), 7-Novembre de Carthage (7190e), de Monastir (7340e), de Tunis (7365e).
Face à un tel score, l’écrasante majorité des Tunisiens se sentirait touchée dans son amour propre et peut être encline à qualifier de «honteux» et de «contre-performant» ce classement des universités tunisiennes.
Une telle attitude ne ferait que justifier tout le mal, préjugés et rumeurs colportés quant à la baisse du niveau de l’enseignement universitaire et des études supérieures en Tunisie. Bref, un mauvais coup pour le moral en cette période de rentrée universitaire.
Pourtant, à regarder de près ce classement, il serait inéquitable et même inique pour les universitaires et chercheurs tunisiens.
Dans l’ensemble, les critiques estiment que les critères retenus par ce classement lèsent la qualité de l’enseignement des universités et favorisent la recherche scientifique en langue exclusivement anglo-saxonne.
Pour mémoire, ces critères sont : la qualité de l’enseignement (nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les anciens élèves), la qualité de l’institution (nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les chercheurs et nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines), les publications (articles publiés dans les revues Nature et Science Magazine, articles indexés dans Science Citation Index, et Arts & Humanities Citation Index), taille de l’institution (performance académique au regard de la taille de l’institution).
Dans le cas de la Tunisie, les universités locales sont tout simplement méconnues et souffrent d’un déficit structurel de publication et de communication de travaux de recherche en anglais.
Leur classement est frustrant. Il ne reflète pas l’effort de l’Etat tunisien en matière de Recherche-Développement (R&D). La Tunisie a investi l’équivalent de 1,25% de son PIB dans la R&D en 2009 et le nombre de chercheurs (mesuré en termes bruts) pour chaque million de population y est supérieur à la moyenne régionale.
L’effort de l’Etat se mesure aussi par le nombre important de programmes d’appui à la recherche et à l’innovation. Cependant, les résultats en matière de brevets et d’utilisation concrète des résultats de recherche par les entreprises sont faibles même si on note une augmentation ces dernières années. En 2008, le nombre de brevets déposés internationalement était de 26 au total, dont 10 aux Etats-Unis (contre 2 en 2006), 4 en France et 4 à l’Office européen des brevets. Cela reste inférieur à la moyenne régionale.
Le point de vue de la Banque mondiale
La Banque mondiale, qui s’est penchée sur ce dossier, relève que «le rendement à l’investissement public dans la Recherche-Développement en termes d’innovation concrète est faible en Tunisie à cause de nombreuses contraintes qui réduisent l’efficacité de l’effort public».
Première contrainte, le double emploi. Certains programmes d’appui à l’innovation ont des mandats et des modes d’opération semblables (prime d’innovation et mise à niveau), ce qui implique que certains des fonds alloués sont largement sous-utilisés (exemple : la prime d’innovation). Ceci crée du gaspillage et de l’inefficacité.
Deuxième contrainte, les dépenses en matière de R&D sont éclatées sur un ensemble très large de thématiques et d’institutions (ESTIME 2007). Ainsi le lien entre dépense (montant et allocation sectorielle) et l’objectif stratégique recherché ou les performances des structures n’est pas clair.
Troisième contrainte : le partenariat recherche publique- secteur privé est limité. Pour la Banque, trois facteurs expliquent cela : la faible demande émanant du secteur privé reflétant une spécialisation vers des créneaux à faible valeur ajoutée et la sous-traitance dans de nombreux secteurs ; l’inadéquation entre les thématiques de recherche et les besoins des entreprises et les procédures bureaucratiques complexes qui encadrent la collaboration entre le public et le privé.
Quatrième contrainte et non des moindres, l’absence de bureau de transfert de technologie. Alors que le système d’innovation tunisien regorge d’institutions, il existe un vide important dans l’appui à la commercialisation des résultats de la recherche. Par exemple, aucune institution ne semble aujourd’hui jouer le rôle de bureau de transfert de technologie (BTT). Le BTT est le point de contact primaire pour les compagnies et les autres organisations qui souhaitent acquérir des technologies et se servir de l’expertise et des facilités des structures de recherches aux termes d’une entente de collaboration ou une entente d’octroi de licence. Il serait opportun de favoriser la création d’un tel bureau.
Par delà ces éléments d’information sur la situation de la recherche en Tunisie, le classement de l’université de Shanghai est très critiqué par les chercheurs francophones au point que l’Europe, sous la pression de la France, pense à instaurer, à partir de 2011, son propre classement.
Les critères de ce classement ne tiennent pas compte, malheureusement, de certaines orientations jugées prioritaires dans certains pays comme la formation supérieure des cadres, des ingénieurs et des gestionnaires pour les milieux socioéconomiques ou les sciences humaines et sociales. Les secteurs de l’ingénierie et du management, l’ouverture sociale et l’innovation technologique.
A titre indicatif, les sciences humaines sont carrément occultées. C’est là d’ailleurs la première critique formulée à l’encontre de ce classement qui a du faible pour les prix Nobel et les publications dans les magazines spécialisées.