L’ouvrage de Sihem Souid, Française d’origine tunisienne de 29 ans, sort aujourd’hui jeudi 14 octobre aux Editions du Cherche-Midi. Le titre est détonnant «Omerta dans la Police». Elle y dénonce les pratiques d’une police aux frontières (PAF) indignes d’une France républicaine. Discrimination raciale, homophobie, course aux chiffres y seraient décrits avec force détail et «preuves à l’appui». «C’est parce que j’aime la France que j’ai écrit ce livre», assure Sihem Souid qui a bien voulu répondre à nos questions.
Webmanagercenter : Comment avez-vous atterri dans la police française ?
Sihem Souid : J’ai fait des études commerciales, un bac + 2. Mon diplôme est un BTS actions commerciales. Après l’avoir décroché, j’ai trouvé du travail dans une entreprise américaine qui s’appelle Brings. J’ai commencé comme employée dans la sûreté aéroportuaire et j’ai fini comme cadre supérieure. Je gérais sous ma houlette 300 personnes. J’étais payée 4.000 € par mois. Je faisais tourner l’aéroport Orly ouest au niveau sécuritaire.
Ensuite, j’ai passé un concours et j’ai rejoint la police nationale. Je l’ai fait par conviction, pour être au service du public. J’ai réussi haut la main, je suis sortie major de ma promotion, la première de toute la France (la 59ème promotion avec félicitations). On a choisi de m’affecter à la police frontière d’Orly puisque je connais le milieu aéroportuaire.
A quel titre ?
Je me suis occupée d’un logiciel qui s’appelle la Biométrie. J’ai formé à ce logiciel des commissaires dans les écoles de police et je l’ai présenté à madame Alliot-Marie, à l’époque ministre de l’Intérieur. J’ai été félicitée par écrit pour mes efforts. J’ai également tenu un blog de la police nationale pour promouvoir l’image d’une police respectueuse des autres, des différences raciales et tolérante. En fait c’est ce que je croyais.
Comment le déclic a eu lieu ?
J’ai très vite désenchanté, car j’ai découvert une police qui n’était pas du tout républicaine. A la police de frontière d’Orly, les arabes sont traités de bougnoules, les noirs de nègres. On abîme les passeports de Français d’origine étrangère pour dire que c’est de faux passeports et les reconduire à la frontière pour faire du «chiffre» aux dépends des compagnies aériennes. Quand il y a un étranger reconduit à la frontière, la compagnie aérienne doit débourser une amende qui varie entre 5 et 10 mille €. J’ai vu des abus de pouvoir et des hauts fonctionnaires qui profitaient de leur position pour avoir des avantages illégaux.
Tunisair en a fait les frais ?
Bien sûr comme toutes les autres compagnies….
Avez-vous été le témoin d’incidents graves touchant des passagers à Orly ?
J’ai vu une dame de double nationalité (française et congolaise) de quarante ans avec un enfant en bas âge, mise dans une cellule de garde à vue, toute nue et filmée par des policiers. Elle était en situation régulière et on a étouffé l’affaire.
J’ai écrit ce livre parce que j’aime la France et je voudrais que sa police soit exemplaire. En France, le pays des Droits de l’Homme, la ligne rouge a été franchie.
Vous n’avez pas peur des répercussions d’un tel livre sur votre vie et sur votre carrière ?
Ce que j’ai fait, je l’ai fait par conviction. Bien sûr que j’ai pris des risques, entre autres celui de perdre mon emploi.
Avez-vous dénoncé les exactions dont vous avez été témoin auprès de vos supérieurs hiérarchiques ?
Bien sûr, j’ai fait des rapports et avec 6 autres collègues, nous avons même porté plainte en pénal. Nous nous sommes auparavant battus en interne pour faire bouger les choses sans succès. On ne voulait pas admettre que des dérives aussi graves puissent émaner de la police française. On a donc voulu étouffer l’affaire pour ne pas faire de vagues. En France, on punit le petit gardien de base pour un délit infime mais pas les hauts fonctionnaires, lesquels, au pire, sont mutés. Le contrôleur général de la police d’Orly a été, à l’époque muté.
N’avez-vous pas été intimidée à cause de votre écrit ?
J’ai reçu des menaces, j’ai subi des pressions, ma vie personnelle en a été affectée puisque mon mari tunisien m’a demandé de choisir entre mon combat, mon métier et lui, et j’ai choisi mon combat ; je n’admettais pas qu’il ne me comprenne pas. Je n’ai pas cédé et je ne céderai pas, je suis divorcée et j’ai une petite fille mais il y a des luttes qui méritent des sacrifices, et j’estime que celle que je mène aujourd’hui le mérité amplement. Car mon sacrifice ne vaut rien comparé au fait de perdre sa dignité et son respect de soi-même.