Jamais ministre de Tourisme n’aurait dit aussi crument tout ce qu’il n’est pas de bon ton de dire. Avec réalisme, précision et sans complexes, Slim Tlatli a évoqué les chinoiseries qui inondent nos marchés et hôtels, la qualité qui dégringole, le cercle vicieux duquel nous ne parvenons pas à nous en sortir, les problèmes qui n’ont pas été résolus à temps, des hôtels qui tombent en ruine, la formation qui laisse à désirer… Fallait-il s’arrêter au diagnostic? Non bien évidemment. Il fallait s’opposer et proposer pour avancer.
Grâce au soutien et aux encouragements du sommet de l’Etat, le chef du département du tourisme tunisien entame le chemin de la réforme. La stratégie, encore au stade de projet, sera approuvée, nous dit-on, lors d’un CMR (Conseil ministériel restreint) et s’en suivra bien évidement une cascade de mesures. Cette stratégie tient dans un document de plusieurs dizaines de pages. Une feuille de route dont la dimension pratique est irréfutable.
Construite autour de 5 axes, 20 actions et 160 mesures, elle sera appuyée par un ciel libéré dès novembre 2011, une modernisation de la politique fiscale, la création d’un fonds de soutien aérien, un budget de promotion qui serait triplé pour l’exercice 2011…
Le projet est aussi porté par un homme qui a une mission : celle de changer la face du tourisme dans un pays qui s’y est beaucoup investi, misant durant plus de cinq décennies sur un des secteurs les plus porteurs de l’économie mondiale et qui se doit de devenir rentable.
«La décadence d’une société commence quand l’homme se demande : “Que va-t-il arriver?” au lieu de se demander: “Que puis-je faire?”, pensait Denis de Rougemont. Et justement, l’immobilisme, la résistance, l’attentisme, le scepticisme, l’abandon, les résignations… expriment plus que des mots à mettre sur les maux dont souffrent justement les opérateurs, l’Administration et la destination pour reprendre le titre du livre de Wahid Brahim.
Pour que la stratégie préconisée par le ministère réussisse et que son plan d’attaque devienne une réalité, on doit s’appliquer à changer les mentalités. Et c’est précisément ce concept de “change management” qui est le plus difficile. Comment le provoquer, le gérer et le convertir en véritable force vive? Le changement des mentalités, celles des privés autant que celles du public, est au cœur du premier défi du tourisme Tunisien et de l’avenir à construire.
Remotiver les équipes que l’on ne choisit pas forcément, remotiver des opérateurs désolidarisés et abattus par de pâles résultats et une concurrence très vive, c’est difficile. Rattraper le temps, les retards accumulés au fil des décennies et se projeter dans l’avenir avec ce qu’il convient de réponses et d’innovations est d’autant plus laborieux. Ce n’est un secret pour personne que les opérateurs privés sont bloqués dans une léthargie ahurissante. Beaucoup d’entre eux se désistent et se dérobent même à leur propre secteur. Il ne faut pas non plus être dans le secret des dieux pour savoir que les autres, l’Administration, sont bloqués par la lourdeur d’une machine qui peine à s’adapter. Et cerise sur le gâteau, cette mini-révolution que veut provoquer le tourisme tunisien doit aussi susciter et pousser à de profonds changements au sein d’autres ministères et organismes.
Grâce au «change management»…
Réussir ce plan d’action est vital. Et pour y parvenir, la priorité est de redéfinir et remotiver le partenariat privé/public. Ensuite et ce n’est pas un moindre défi, dégager et trouver les fonds conséquents pour assurer son application. La mise à niveau doit se mettre en route. Il lui faut acquérir les savoir-faire et parallèlement le faire savoir. C’est difficile, fragile et urgent. Et l’avenir dépend de la volonté commune que les différentes parties prenantes de ce secteur et de bien d’autres ont de construire et d’aller de l’avant. Assimiler le fait qu’il est fondamental de travailler tous ensemble est indispensable si nous ne voulons pas que rats et chats soient les seuls VIP de notre destination.
Tous les experts du monde sont unanimes à dire que c’est ce concept de “change management” qui est difficile à provoquer et gérer. Sami Bahri, managing partner de Netcenter Consulting Services, une entreprise de Business Consulting basée à Tunis et Berlin, pense que la plus grande partie du défi est de trouver la parade à: «la prédisposition à l’inertie et à l’immobilisme de l’administration». Le talon d’Achille de cette stratégie est «qu’elle exige une réforme non seulement au niveau du ministère du Tourisme et de ses offices satellites mais aussi dans d’autres ministères concernés par cette stratégie. Pour le moment, le “change management“ ne paraît pas évident, même si l’étude du cabinet Roland Berger à intégré beaucoup de propositions allant dans ce sens. Le problème central reste la gestion des ressources humaines au niveau des administrations publiques. Souvent, les décideurs n’ont pas la possibilité de choisir leurs équipes. Celles-ci sont désignées en fonction de considérations purement administratives et parfois politiques et rarement en fonction des besoins et des capacités des personnes. On a vu trop souvent de bons projets échouer à cause d’un décideur mal entouré et dont l’équipe, sensée le soutenir, le contrecarre tout au contraire!», estime Sami Bahri.
Il est aussi plus que jamais temps que la profession réagisse, s’active, défende ses produits et soutienne son secteur. Mais quel est l’impact de cette stratégie sur les professionnels? Comment va réagir la profession? Peut-elle se permettre de ne pas y croire? Faut-il vraiment se poser la question de savoir si les professionnels sont prêts à adhérer à leurs propres intérêts? Une seule réponse est aujourd’hui évidente : Le temps n’est plus qu’a une seule considération. L’action.
En effet, la préoccupation majeure d’aujourd’hui n’est plus de redonner le goût du tourisme aux opérateurs touristiques tunisiens. Un seul objectif prime. Celui de donner le goût de la Tunisie aux touristes qui viennent et viendront du monde entier. Il faut travailler pour redevenir une destination touristique à part entière. Une destination épanouie et épanouissante. Une destination qui fait rêver à nouveau.
Slim Tlatli, en partenariat avec les professionnels mais aussi avec ses homologues dans d’autres départements ministériels pourra alors opérer les changements tant attendus. Nous le souhaitons tous. «L’heure est grave et nous ne pouvons tomber plus bas», précisent plusieurs opérateurs touristiques interrogés à ce sujet. C’est un bon signe.
Il faut reconnaître que les directives présidentielles, comme souligné plus haut, vont dans le sens d’une remise en question totale du secteur touristique. Le Premier ministre l’a précisé dans le discours d’ouverture à l’occasion de la Journée consacrée à la Consultation nationale sur la stratégie 2016 du tourisme tunisien, samedi 9 octobre à Tunis. On devrait s’attendre à une coopération plus active entre les différents ministères et intervenants pour assurer la réussite de la nouvelle stratégie.
Maintenant, un deuxième obstacle menace la nouvelle stratégie ambitieuse du département touristique dans notre pays: le budget. C’est une vraie gageure d’essayer de débloquer des fonds qui ne sont pas définis par les mécanismes très lourds de gestion du budget de l’Etat. La réussite de tout projet dépend de trois paramètres: la stratégie, l’équipe et le budget. La stratégie semble être la bonne. Espérons que Slim Tlatli trouvera l’alternative pour les équipes et les budgets. Espérons qu’il réussira ce tour de force !