La concurrence entre opérateurs de téléphonie ne va pas déboucher sur une guerre des prix mais une –probable?- course au contenu. La téléphonie rapporte gros aux opérateurs. Peut-elle profiter à l’écosystème national ?
Le «ticket» constitué par Samy Zaoui et Farah Oueslati a modéré, avec doigté et professionnalisme, un débat très disputé, en présence des responsables des trois opérateurs téléphoniques de la place, quant à l’avenir de la profession. Â
Trois questions fondamentales ont rythmé les interventions à cette rencontre. D’abord, la concurrence à trois et ses conditions d’exercice. Cartel, oligopole ou «entente»? La question méritait d’être examinée et discutée. Et elle a suscité des échanges intenses d’autant que le régulateur se manifeste peu à l’opinion publique. Même si on a vu un ou deux petits coups de griffes, on peut soutenir qu’il existe une «entente cordiale» entre les trois opérateurs.
Vient ensuite la question des passerelles techniques et scientifiques avec l’université et les SSII, c’est-à -dire l’écosystème national. Allons-nous rester éternels consommateurs ou allons-nous nous préparer à devenir développeurs ? Il faut choisir et puis agir, en conséquence. Les relations d’affaires sont encore tenues. Existe-t-il des chances pour les développer ? Last but not least, de quoi sera fait le lendemain ? Les opérateurs ne révélèrent pas toute leur stratégie, leur arme fatale, mais ils ont évoqué des pistes d’avenir qui renseignent sur leurs visions respectives du marché futur.
A «l’écoute» du marché ?
Plaisamment on peut regarder les opérateurs téléphoniques comme des «mammouths», par leur taille et leur chiffre d’affaires. Mais on peut regretter qu’ils «n’écrasent pas les prix». Qu’ils nous pardonnent notre réflexe, par trop mercantile, d’avoir l’œil constamment rivé sur le tarif minute. Néanmoins, il faudrait qu’ils gardent à l’esprit que la concurrence, ça doit profiter au client et au concret. La réalité est que les opérateurs seraient pris dans un effet de ciseaux, soutiennent-il, entre des coûts qui grimpent et des prix qui baissent… tendanciellement.
Le tarif à la minute en Tunisie serait parmi les plus bas au monde. A titre d’exemple, il serait huit fois moins cher que le tarif moyen en France et trois fois moins cher que le tarif du Maroc. Malgré tout, le consommateur tunisien a trouvé des moyens de débrouille, pour comprimer son budget de téléphonie. Il opte pour le prépayé, qui représente 90% du marché. Il multiplie les abonnements. Le prix du SIM étant bon marché, soit cinq dinars, l’investissement est donc attractif. C’est, d‘ailleurs, ce qui explique le taux élevé de pénétration du marché, qui est, à l’heure actuelle, de 110%. De la sorte, il peut cumuler les promotions et peser sur le prix moyen à la minute. Ce qu’on relève toutefois est que le client rythme la concurrence et pas l’inverse. C’est lui qui trouve des parades.
De ce point de vue, les opérateurs manifestent, surtout, de l’inertie. Qu’attendent-ils autrement pour généraliser la facturation à la seconde? On s’est beaucoup interrogé sur leur stratégie commerciale. Faute de baisser les prix faut-il qu’ils proposent plus de prestations aux clients, particuliers et entreprises? Et on s’est aussi interrogé sur leurs stratégies industrielles. Une mutualisation de leur infrastructure en amont serait-elle une piste à explorer?
Les pratiques commerciales des opérateurs ne sont pas particulièrement offensives, il faut le reconnaître. Leurs offres, très différenciées l’une de l’autre, interfèrent peu et donc leur laissent des parts de marché distinctes. Et c’est, peut-être, ce qui n’a pas dissipé l’idée que la concurrence a encore du terrain devant elle. Ce qui, en soi, est bon signe.
La concurrence, c’est les solutions sophistiquées ?
Avec beaucoup d’habileté les opérateurs ont détourné l’intérêt sur la concurrence vers la piste de R&D et c’est de bonne guerre. Il s’agit là d’une question d’importance pour l’avenir. Souvenons-nous que la téléphonie avait été durement malmenée par le Net. Le téléphone était donné moribond face au PC. Le voilà qu’il retourne la situation à son avantage et qu’il reprend le dessus. Internet sur le mobile, c’est quand même une sacre revanche. Le Mobile payment, c’est une solution alternative, cela ne fait pas de doute. Le mobile s’impose dans le WAP, c’est-à -dire dans le champ de la banque multicanal. Y a pas photo, il retrouve ses lettres de noblesse. Le smartphone est le vecteur de beaucoup d’attentions et bien entendu accapare une bonne partie des solutions IT innovantes.
Qu’il s’agisse des utilisateurs domestiques ou des entreprises, l’innovation va vers une même direction. D’abord et avant tout, le haut débit. Entre 2008 et 2010, c’est-à -dire en l’espace d’à peine deux ans les abonnés à l’ADSL ont plus que quadruplé, passant de 112.000 à 460.000. La bande passante est à 42,5 gigas et la barre est mise sur les 100 gigas. La fibre optique gagne du terrain et les packages de prestation augmentent en sophistication.
Il va sans dire que c’est un squeeze par le haut. Et que si la pression concurrentielle n’impacte pas les prix, comme on le souhaite, elle n’en est pas moins bienfaisante. N’est-ce pas qu’elle conduit vers des choix d’avenir, pour le moins prometteurs.
Quid de l’écosystème ?
Tel qu’il est décrit, l’avenir est porteur de développement. L’extension de la connectivité et l’appel soutenu d’ADSL surtout pour le fixe data indiquent bien que la société de l’information commence à prendre de l’ampleur. Cela laisse penser que le télétravail se développera, ce qui est de nature à détendre la tension sur le marché du travail en ce qui concerne les diplômés du supérieur.
D’un autre côté, il y a des possibilités pour d’externalisation au bénéfice des SSII tunisiennes. Mais également des possibilités de co-construction de diplômes et de programmes de recherches avec l’université. Cela se manifeste timidement, à l’heure actuelle. Comment dès lors accélérer le phénomène ? Une possible ouverture du capital serait une piste sérieuse. Un mixage d’actionnariat est une piste à approfondir. Voilà quelques indications de maillage d’affaires entre opérateurs et leurs partenaires naturels, soit l’université et les SSII.
Le contenu comme moyen de fidélisation et visa pour l’avenir
La profession a d’abord et avant tout pour priorité les perspectives de croissance. Il s’agit de renforcer une base clientèle et de doper le chiffre d’affaires. Les opérateurs savent d’expérience et, de raison, que le prix à l’entrée est d’un effet d’appel, éphémère. Quand un opérateur gagne un client en lui offrant uniquement une babiole à l’entrée, mettons une casquette et qu’il s’en tient là , il n’a aucune garantie pour le garder. Ce même client peut être récupéré par un concurrent plus malin, qui l’appâterait en lui offrant deux casquettes.
Comment dès lors tisser une relation durable afin de contrer le reflux des clients, «attrition», disent les Anglais ? Les enseignements de la CRM sont assez éloquents, en la matière.  Il y a les moyens de court terme. Ils se focalisent, pour résumer, sur les promotions tarifaires. Et les moyens, plus persuasifs, qui offrent une visibilité d’avenir. Ceux-là portent sur les progrès de contenu.
Les opérateurs sont unanimes à dire que les prix ne feront que baisser et donc pour générer plus de chiffres et plus de résultats la solution consistera à relever la valeur ajoutée des prestations. Il faut donc pousser vers la sophistication des solutions.
Le progrès technologique est là pour y répondre. Et dans cette perspective, on regrette que les organisateurs n’aient pas pensé à inviter la Technopole Elghazala. Le débat sur cet aspect, déterminant pour l’avenir, aurait pris un tout autre relief. Les SSII présentes à la rencontre déplorent le maigre courant d’affaires avec les opérateurs qu’ils regardent, seulement, comme des «machines à faire du cash». De même, la participation de l’autorité de régulation aurait aidé à clarifier les pistes d’avenir où choisit d’aller la profession. Et, de se faire connaître de tous car elle travaille, jusque-là , dans l’anonymat.