A cause d’une centralisation excessive du système de négociation collective en Tunisie, centrée sur les conditions particulières de l’entreprise, d’une forme de dialogue social intimement liée aux aspects salariaux uniquement et de l’absence d’un cadre juridique approprié à l’analyse approfondie des implications et des conséquences qui découlent des différents rounds de discussions entre les partenaires sociaux, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) n’ont pas développé, chez un large public de leurs adhérents, une culture partagée sur des concepts transcendant les clivages, capable d’intégrer, dans les relations du travail, la problématique complexe de l’emploi, l’insertion des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur dans le tissu industriel et les impératifs de la compétitivité de l’entreprise.
Le temps limité des négociations sociales, la pression de la réalité entrepreneuriale et le climat des discussions, généralement tendu entre le patronat et les représentants des travailleurs, ne permettent pas, conclut le rapport de la Commission nationale sur l’emploi, d’aborder, d’une manière sereine, les défis liés à la mondialisation, à la concurrence féroce que se livrent les pays à la lisière sud de la Méditerranée pour s’arrimer à l’économie du nord, à l’impérieuse rénovation de l’organisation actuelle du travail et à la demande pressante des chefs d’entreprise de réviser les articles du code du travail, à l’origine de rigidités inutiles, véritable entrave, insistent certains experts internationaux, à la mobilité et au redéploiement des ressources humaines dans le pays.
Cela dit, avec l’intervention énergique de l’Etat, garant traditionnel des arbitrages cruciaux depuis l’indépendance, la conclusion des négociations collectives est devenue une constante dans le système tunisien des relations professionnelles, dont la fonction de régulation sociale a permis la neutralisation du vieil antagonisme «capital-travail», sans arriver à aborder sereinement le challenge d’un ordre marchand international, peccamineux par nature, avide d’entreprises innovantes, de réponses technicisées aux problèmes de l’emploi et de zones de libre-échange, symboles d’un nouveau rapport au temps, d’une finance mondiale mathématisée et d’une culture techno-marchande en pleine expansion planétaire.
Repenser la concertation sociale
Instituée par la loi du 15 juillet 1996, la Commission nationale du dialogue social, dont le rôle est de servir de cadre à la promotion d’un échange dépassionné entre le syndicat ouvrier (UGTT) et son alter égo patronal (UTICA), doit sortir de sa léthargie (aucune réunion ou initiative depuis sa création), réactiver ses réseaux pour inciter à l’innovation collaborative, appeler à une démarche innovante dans le positionnement revendicatif des uns et des autres et inviter les partenaires sociaux à élaborer ensemble un diagnostic scientifique de la situation des rapports de production dans le pays, à l’ombre d’une crise mondiale qui n’est pas une simple parenthèse, affirment des économistes, mais une mutation profonde de notre monde.
Avec l’appui d’une expertise appropriée et d’un diagnostic scientifique actualisé, les partenaires sociaux, sous la houlette de la CNDS, sont en mesure, affirment certains observateurs de la scène syndicale, de concilier leurs positions, généralement reflet des doléances d’une base jusqu’au-boutiste, de faire du dialogue social l’un des leviers majeurs pour la promotion de l’emploi dans le pays, dont les forces vives doivent toujours se soucier de l’attractivité du site Tunisie auprès des investisseurs internationaux et d’adopter ainsi des solutions à même de prendre en compte les impératifs de la compétitivité de l’entreprise, pierre angulaire de la stabilité de notre pacte républicain, de la pérennité du tissu industriel national et creuset de l’embauche de demain.
Finalement, l’ensemble des organisations professionnelles du pays (UGTT, UTICA, UTAP…), face à une mondialisation qui donne le bourdon avec ses corsaires de l’industrie et de la finance, doivent lancer, au niveau national, sectoriel et régional, un vaste programme de mise à niveau de leurs adhérents, financé, recommande le rapport de la Commission nationale sur l’emploi, sur les ressources non ristournées de la Taxe à la Formation Professionnelle (TFP), afin de s’approprier les enjeux des réformes économiques en cours et de saisir la portée stratégique de l’employabilité des PME du pays, qui risquent de disparaître sans fleurs ni couronnes si les partenaires de l’acte productif ne tiennent pas compte, dans leur dialogue, du droit des nouveaux arrivés sur le marché de l’emploi à l’intégration dans les circuits de la vie active.