Privés d’aides européennes, les tabaculteurs craignent pour leur survie

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échage des feuilles de tabac le 2 novembre 2010 dans sa ferme de Saint-Laurent-la-Vallée. (Photo : Pierre Andrieu)

[03/11/2010 09:12:13] SAINT-LAURENT-LA-VALLEE (Dordogne) (AFP) “Une inquiétude énorme et une belle dose de sinistrose” : tabaculteur dans le Périgord, Philippe Saphary résume l’angoisse d’une filière qui compte sur une hausse du prix du tabac lundi pour compenser la perte des aides européennes et assurer sa survie.

Dans le séchoir saturé par l’odeur du tabac où ils effeuillent les pieds récoltés depuis la mi-août, Philippe et son cousin Pascal font les comptes : sans les aides de la PAC, supprimées en janvier par Bruxelles, “on est à 3 euros le kilo alors que le seuil de rentabilité minimal est de 4 euros”, grommelle Philippe, voix rocailleuse et accent périgourdin.

Engoncé dans sa combinaison de travail, leur collègue Christian Carrier approuve: à ce prix-là, “moi, je ne peux plus faire du tabac : travailler pour ne rien gagner, ce n’est pas une solution”.

Les trois hommes, exploitants à Saint-Laurent-la-Vallée, à 70 km au sud-est de Périgueux, ne font pas mystère de leur crainte quant à la pérennité de leur activité : “Ce n’est pas un vain mot, on est en péril”, affirment-ils.

Depuis trois ans, ils mutualisent leurs efforts : ils ont acquis du matériel en commun et chacun met la main à la pâte sur l’exploitation des autres.

Membres de la coopérative Périgord Tabac (l’une des deux coopératives du grand Sud-Ouest avec Tabac Garonne Adour, chacune rassemblant 500 producteurs), ils pratiquent la polyculture et exploitent à eux trois 8 hectares de tabac, l’essentiel de leurs revenus annuels (entre 50 et 60%).

Mais le tarissement de la manne européenne fragilise la filière, mettant “pas mal de productions sur la tangente. Si on arrête le tabac, ça sera difficile de faire autre chose”, s’inquiète Pascal, la configuration du terrain, vallonné dans cette partie du Périgord, et le morcellement des exploitations ne laissant que peu de possibilités.

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à l’usine “France tabac Dordogne” à Sarlat-la-Caneda (sud) le 2 novembre 2010 (Photo : Pierre Andrieu)

“On est au +taquet+” pour réduire les coûts. “On ne sait plus sur quoi on va gratter”, s’alarme Philippe. “Il y a un marasme qui s’installe. C’est usant”.

Aussi, mercredi matin, aux côtés d’autres producteurs, ils iront manifester devant l’Assemblée nationale à Paris. Objectif : réclamer que leur soit redistribuée une partie des 700 millions d’euros que va générer à partir de lundi la hausse de 6% du prix des cigarettes.

“Sur ces 700 millions, 15 (soit 5 centimes par paquet) suffiraient” à compenser les aides communautaires “pour les 2.600 producteurs français”, résume Thierry Van Gestel, président de la coopérative Tabac Garonne Adour.

Certes, les industriels ont augmenté leur prix d’achat de plus d’un euro en moyenne depuis un an, reconnaît-il. Pourtant, “sans aide, personne ne replantera en 2011 et la production de tabac, gourmande en main d’oeuvre, cessera”, prévient M. Van Gestel, qui rappelle que la filière fait vivre, directement et indirectement, quelque 10.000 personnes.

La production française a grimpé jusqu’à 20.000 tonnes mais plafonne depuis trois ans à 13.000 tonnes, rappelle de son côté Eric Tabanou, responsable administratif et financier de l’usine France Tabac de Sarlat (Dordogne), unique site de transformation du tabac en France.

Créé en 1985 à l’initiative des tabaculteurs, elle emploie 110 salariés permanents et travaille notamment pour Philip Morris, Japan Tobacco et Imperial Tobacco.

“Entre 8 et 10.000 tonnes, on peut déjà s’interroger sur l’utilité de maintenir cet outil industriel”, estime M. Tabanou. “Et s’ils (les tabaculteurs) disparaissent, nous disparaîtrons aussi”.