La sécurité est la pierre angulaire de la compagnie aérienne nationale Tunisair, intransigeante sur la formation de son personnel naviguant technique, mais pas seulement. Grâce au renforcement de sa flotte, elle compte renforcer son assise en Europe -Open Sky aidant- et conquérir de nouveaux marchés en se tournant cette fois-ci vers l’Afrique à condition toutefois que ce soit rentable. “Nous ne ferons jamais rien qui puisse menacer la pérennité de Tunisair”, assure Nabil Chettaoui, PDG de Tunisair.
Entretien, en toute liberté, avec le dirigeant d’une petite compagnie qui veut s’imposer dans la cour des grands.
Webmanagercenter : Un Etat actionnaire à hauteur de 75% dans une compagnie aérienne ne rend-il pas les choses difficiles, moins de souplesse au niveau de la gestion?
Nabil Chettaoui: Le capital est une chose, le management en est une autre. Si vous prenez le cas d’Air France ou de Royal Air Maroc, ce sont deux compagnies dans lesquelles l’Etat est majoritaire -plus maintenant pour Air France suite à l’entrée de KLM dans le capital. Toujours est-il qu’auparavant la compagnie aérienne nationale française bénéficiait d’une gestion souple pour le simple fait qu’elle évolue dans un environnement concurrentiel. Cette flexibilité lui a été accordée par les pouvoirs publics. Pareil pour Tunisair, quoi que je souhaiterais un peu plus de souplesse, mais je ne vois pas, en tout cas, de contradictions entre le fait que l’Etat soit majoritaire et un management plus efficient et plus réactif.
Pour ma part, je souhaiterais que l’Etat reste aussi longtemps que possible actionnaire majoritaire de Tunisair, c’est pour nous un point fort même si, à long terme, Tunisair ne restera pas publique. La tendance mondiale est au désengagement des Etats de toutes les activités économiques concurrentielles, ils ne restent que dans les secteurs d’utilité et de services publics.
Vous êtes maître de vos décisions à Tunisair?
Si les décisions sont judicieuses, nous finissons toujours par convaincre les pouvoirs publics de leur justesse. Dans l’absolu, les gestionnaires sont toujours redevables à un vis-à-vis de leurs actions, qu’il soit un Etat ou un Conseil d’Administration. Le processus de prise de décisions avec un Etat actionnaire a le mérite de la transparence même s’il prend plus de temps et est plus lourd à gérer. Mais dès le moment où vous maîtrisez les procédures et avez le sens de l’anticipation, vous préparez et étudiez attentivement vos dossiers, vous pouvez alors gérer une compagnie aussi importante que Tunisair sans subir des contraintes particulières.
Dans beaucoup d’entreprises privées, les managers souffrent plus de ne pouvoir être les principaux décideurs, nous le ressentons moins avec l’Etat, en tout cas pour ce qui concerne Tunisair.
Tunisair est un groupe de sociétés, quelle est la filiale qui marche le plus et où vous gagnez le plus d’argent?
La filiale la plus rentable, celle qui dégage le plus grand bénéfice est le Handling ; nous l’avons indiqué dans nos chiffres et cela se remarque dans le rapport du commissaire aux comptes. Toutes les autres sont équilibrées et réalisent des bénéfices honnêtes ramenés à leurs chiffres d’affaires.
Tunisair dégage des bénéfices de par son exploitation même si sa marge au niveau du chiffre d’affaires peut être améliorée. C’est une compagnie qui ne perd pas d’argent sur ses lignes principales et dont les comptes sont sains.
Pourquoi maintenez-vous votre investissement en Mauritanie alors qu’à ce jour, il ne dégage pas de bénéfices?
L’investissement dans la compagnie Mauritania Airways a été décidé en 2006 et concrétisé en novembre 2007, c’est trop récent. Il est prématuré de pouvoir évaluer définitivement la rentabilité de l’investissement à moyen et long termes. Nous ne pouvons condamner la compagnie aérienne mauritanienne à cause de deux exercices déficitaires. Dans les comptes rendus des médias qui ont suivi l’assemblée générale, mes propos ont été mal interprétés, car je n’ai jamais dit que nous allions retirer nos investissements de la compagnie aérienne mauritanienne. Toutefois, à Tunisair, il n’y pas de décisions immuables. Si les choses perduraient, nous pourrions aviser en temps et en place. Nous ne prendrons pas de décisions hâtives, d’autant plus que les résultats sont perceptibles et s’améliorent d’une année à une autre.
Grâce à la prochaine acquisition des Airbus, Tunisair pourrait remédier à la vétusté de certains de ses appareils et renouveler sa flotte, c’est déjà un plus. Par contre, que comptez-vous faire face au recul de la qualité des prestations de la compagnie nationale tant au niveau des services que de la ponctualité et du catering?
Une remarque pour commencer, le mot vétusté ne me paraît pas tout à fait adapté au cas Tunisair, car il faut comparer l’âge de nos avions par rapport à la moyenne d’âge des avions de par le monde, nous sommes dans les normes internationales en la matière.
Pour revenir à la qualité de service, il faut relever le fait que la perception de nos compatriotes est trop sévère. Je concède et j’admets qu’ils voient Tunisair comme un prolongement du territoire national et sont jaloux de l’image qu’elle renvoie. Je reconnais que nous avons une marge de progrès à réaliser à ce niveau. Je voudrais toutefois que vous essayiez de consulter certains sites spécialisés en transport aérien, vous verrez que Tunisair est toujours située en tête des placements selon les jugements faits par nombre de passagers sur des années et ayant pris à différentes reprises nos lignes nationales.
Au niveau du catering, Tunisair figurait parmi les meilleures compagnies au monde, il est compréhensible que l’on veuille faire des pressions au niveau des coûts pour être plus compétitif, mais pas au point de servir aux passagers des plats inodores et incolores…?
Votre question comporte sa réponse. A ce jour, les compagnies low cost pèsent 40% de l’activité dans notre région. Le consommateur est en train de se familiariser avec un nouveau référentiel. Celui de «Rien à bord, moins de prestations, le tarif le moins cher possible». En ce qui nous concerne, nous avons deux choix, ou bien nous positionner en tant que compagnie aérienne des années 60, auquel cas continuer à servir du saumon et du caviar à bord et vendre le billet Tunis/Paris à 3 mille dinars au risque de disparaître du paysage aéronautique international, ou raisonner autrement en nous disant que le catering étant un élément de coût, il faut comprimer ses dépenses.
Ceci étant, les économies ne concernent pas que le catering et elles peuvent même paraître insignifiantes par rapport à celles faites au niveau du personnel et de la gestion. Les syndicats de Tunisair à tous les niveaux se sont engagés dans une politique d’amélioration de la productivité et ont signé avec la direction générale des accords de polyvalence pour travailler plus avec moins de personnel. Nous ne sommes pas en train de remplacer les départs en retraite ou ailleurs. De tous les programmes de compression des coûts, celui le plus perceptible par les passagers est celui du catering alors qu’en fait nous sommes dans l’air du temps. Ce qu’on achète dans les compagnies low cost est cher et insipide, je trouve que le jugement des nationaux est trop rigoureux et dénote de leur attachement à la compagnie battant pavillon national.
Pour abonder dans le même sens, les agents du personnel commercial de Tunisair portent des chemises (chemisiers) en polyester, ce qui n’est pas très agréable quand on a travaillé pendant plus de 8 h, l’image de la compagnie n’en est pas plus embellie. Qu’en pensez-vous?
Vous avez spécifié “chemises en polyester“, mais qu’en est-il du reste des tenues des personnels? Cela veut donc dire que tout le reste est de bonne qualité. La garde-robe du personnel Tunisair est composé d’un assortiment d’articles allant du tailleur au costume en passant par les manteaux et les chaussures. Toutes les tenues que portent les PNC sont soumises à un appel d’offres élargi, et le jour du choix, c’est le personnel lui-même qui les choisit suite à un défilé où au moins 6 à 7 modèles lui sont présentés. Ceci étant, nous procèderons l’année prochaine à la révision de notre choix concernant la qualité des chemises.
Où comptez-vous réinvestir les montants des taxes sur le carburant après que le président de la République les a éliminés ?
A bon escient… La décision du président de la République a été dictée par le fait qu’il fallait conférer aux compagnies battant pavillon tunisien, la compétitivité nécessaire à l’international. Quand nous disons compétitivité, nous parlons de plusieurs dimensions. Le tarif en premier lieu mais également la qualité de service, la formation et surtout la sécurité qui représente une pierre angulaire du transport aérien. Si nous calculons les économies réalisées sur les taxes sur le carburant et nous les répartissons sur les prix des billets, la baisse ne dépassera pas les 2 dinars. C’est infime. Nous ne ferons pas cela. Nous allons, par contre, axer nos efforts sur les tarifs promotionnels et vous pouvez le remarquer sur notre site web -devenu notre point de vente n°1.
Par exemple, lorsque nous vendons un point en Europe à 250 DT toutes taxes, Tunisair en perçoit moins de 200 DT, soit 45 € en hors taxe. C’est un tarif low cost mais on ne le voit pas. Vous pouvez trouver du 39 € au départ de la France. C’est du low cost que nous pouvons aujourd’hui offrir à nos passagers grâce à toutes les économies réalisées, aux encouragements de l’Etat et sous l’arbitrage du président de la République.
Nous voulons une compagnie compétitive et nous y consacrons toutes nos ressources grâce, en grande partie, à la compression des coûts à tous les niveaux.
Et par rapport à la ponctualité des vols Tunisair ?
C’est un phénomène qui a été observé durant l’été 2010. Lorsque nous examinons les chiffres sur la fréquence des retards de Tunisair et ceux des autres compagnies aériennes internationales, qu’il s’agisse de la Lufthansa ou d’Air France, nous verrons que les compagnies qui font de la ponctualité leur argument de ventes ont, elles, également souffert de nombreux de retards. Les indices de ponctualité ont tous baissé de 7 à 8 points. Nous avons baissé de 10 points, nous avons été plus mauvais, mais il y a des éléments exogènes qui expliquent la contreperformance de tout le secteur à l’échelle mondiale et d’autres endogènes. Nous avons cette année exceptionnellement découvert des retards au niveau du traitement de l’entretien de quelques avions. Tunisair, qui fait de la sécurité des passagers son fer de lance, ne pouvait en aucun cas retarder le traitement des avions jusqu’à la fin de la saison estivale. Nous ne pouvions en aucun cas prendre de risques ou mettre en péril la vie de nos passagers, un petit retard est, dans ce cas, un moindre mal. Tunisair est reconnue à l’échelle planétaire et figure parmi les compagnies les plus sécurisantes.
Pour rebondir sur cette dimension sécuritaire, certains disent que les pilotes et commandants de bord de Tunisair, dont les études s’étalaient sur au moins 6 années dans des écoles militaires d’aviation, partent de plus en plus à la retraite cédant la place à des jeunes qui ont appris le pilotage dans des écoles canadiennes et américaines et dont l’apprentissage n’a pas dépassé les deux années. Est-ce vrai?
D’abord, la grande majorité des pilotes de Tunisair a été formée à l’Ecole de Borj El Amri qui était civile avant de devenir militaire. Ensuite, l’ouverture du pays sur le monde et la libéralisation, il y a eu la création de deux centres privés dans notre pays, conjugués aux départs et nombre de jeunes, partis à l’étranger suivre des études de pilotage ont conduit à l’apparition d’une nouvelle génération de pilotes. Tunisair devait s’adapter au nouveau contexte pour ce qui est de l’embauche des pilotes et intégrer les nouveaux arrivés dans ses équipages à condition qu’ils répondent à ses critères. Tous ces jeunes ont un point commun, ils détiennent une licence délivrée par les autorités de l’aviation civile tunisienne. Cette licence vient couronner un ensemble d’examens théoriques et pratiques, et quelle que soit la formation du pilote, in fine, il y a la garantie de l’Etat de ses capacités et ses compétences.
Mais ceci ne suffisant pas à Tunisair, tout jeune recruté et en possession d’une licence subit une formation théorique et pratique d’au moins 18 mois. Il repasse des examens théoriques et pratiques sous la conduite de 6 à 7 instructeurs; s’il réussit sa formation, là, il peut devenir un pilote battant pavillon national. Lorsque notre compagnie a subi l’audit IOSA, premier audit utilisé globalement répondant à des standards internationaux harmonisés et condition nécessaire pour faire partie de l’IATA, la personne qui devait assurer la partie Formation des pilotes Tunisair était le chef secteur 777 d’Air France. Lors de la réunion finale de briefing, il nous a assuré de notre conformité aux normes internationales avec un point de plus que les autres compagnies.
Nous nous distinguons par une formation de +30% que les autres compagnies de notre personnel naviguant technique. C’est pour vous dire à quel point la sécurité est importante pour nous et quelle que soit la formation du jeune pilote, il a uniquement deux choix: il passe par les standards de Tunisair ou il est recalé. Chez nous, les pilotes n’ont pas droit à deux échecs aux examens. Le corps des instructeurs de Tunisair est intransigeant et ne souffre aucune forme d’interventionnisme s’agissant des pilotes. Et je profite de cette occasion pour l’en remercier.
L’Open Sky de 2011 et l’arrivée des low cost ont-ils changé la donne pour la compagnie nationale? Et comptez-vous vous lancer dans le long courrier?
L’Open Sky a ses défis, arrivée de nouveaux entrants, baisse des tarifs, mais offre également de grandes opportunités pour une compagnie telle que la nôtre. Pour vous donner un simple exemple, il y a quelques années, Tunisair n’avait pas le droit de desservir l’Italie sauf par Rome, Palerme et un maximum de deux dessertes à partir de Milan. Aujourd’hui, nous avons un vol quotidien sur Milan et nous avons ouvert Venise à raison de trois vols par semaine en plus de deux vols quotidiens sur Rome. Tunisair est en train de développer ses activités grâce à l’Open Sky.
Dans notre politique, nous avons deux axes de développement: le long courrier et à partir de 2012, nous aurons dans notre flotte des avions capables d’assurer des vols de 12 heures et plus, ce que nous ne pouvons faire aujourd’hui.
Il faudrait toutefois savoir qu’on peut perdre très aisément de l’argent sur le long courrier. Le marché américain qui est le plus compétitif grâce à des prix très bas, ne sera pas facile à rentabiliser. Si nous pouvons lancer des longs courriers rentables, nous le ferons, sinon nous ne mettrons pas en péril la pérennité de l’entreprise.
Comptez-vous développer d’autres marchés en Europe, surtout de l’Est?
Oui, nous sommes en négociation avec nombre de partenaires sur plusieurs nouvelles destinations en Europe.
Et sur l’Afrique?
Nous avons déjà identifié trois destinations de l’Afrique de l’Ouest comme marchés porteurs pour nous. Nous étudions aujourd’hui la possibilité -maintenant que nous disposons des bases de données des trafics- de lancer deux vols directs sur l’Afrique, un sur Ouagadougou (Burkina Faso) et l’autre sur Douala (Cameroun).