« Bonjour mon fils, mon ami,
Tu ne reconnaîtras peut-être pas l’expéditeur de cette lettre. Tu trouveras même un peu bizarre de recevoir une lettre par La Poste en ces temps de mail gratuit sur la Toile. C’est normal. Je me fais vieux.
Pourtant, je suis tout un symbole de jeunesse et de liberté. Je suis né avec l’indépendance du pays et on m’a gratifié du rôle d’un des libérateurs de la nation. Mon nom évoquait à lui tout seul toute la hardiesse de cette Tunisie naissante et qui veut s’affranchir de tous les symboles de son passé colonial même si elle se fait violence pour le réaliser.
Mais aujourd’hui, je suis tombé en déchéance. Les affres de la vie m’ont, petit à petit, réduit à une simple unité, le Dinar, et les jeunes ne m’appellent que par mon mauvais pseudo Dannous!
Eh oui, c’est moi le bon vieux Dinar. Le Dinar, qui était la fierté de vos pères et non pas le Dannous de vos soirées clinquantes. J’étais un jour fier et vert en papier de luxe imprimé je ne sais où et au milieu de tout un beau monde. Il y avait là le “Demi-dinar“, en robe marron, le “Cinq dinars“, grand et bleuté, et aussi avec une flopée de petites pièces, petites mais valeureuses avec lesquelles on pouvait encore acheter des choses et des choses !
Voilà! La vie et le coût de la vie, comme disent vos analystes, m’ont réduit à une simple pièce métallique blanche que vous ne vous hasardez même plus à donner à vos gosses pour le Mahba de l’Aïd. Pauvre de moi ! Je ne vaux plus rien malheureusement. Même pas une brique d’un litre de lait ! Même pas un kilo de sucre ! Bientôt on ne saurait plus me distinguer au beau milieu d’une bourse quand, après la pièce de 5 dinars, viendront peut-être d’autres pièces plus importantes que moi !
Le jour où vous n’écrivez plus rien à droite de la virgule sera mon dernier jour. Ce sera alors le moment de faire mon deuil ! Je ne resterai pas là à vivre ma disparition comme d’autres monnaies qui ont été réduites à des points après la virgule !
C’est pour ça que je t’écris cette lettre mon fils afin que tu ne t’étonnes pas de ma disparition et que tu ne commences pas à crier devant l’attar : « mon dannous est perdu ! Où il est passé mon dannous?!». Je ne suis pas’ ton dannous! Je suis le dinar et je m’éclipse ! Au revoir, peut-être au musée de la Monnaie… ». (Lettre du 10 novembre 2010)
Ali Laidi Ben Mansour