Quel futur pour le système bancaire et financier tunisien ?
La question a été posée lors du récent séminaire organisé par la Chambre tuniso-britannique de Commerce en présence d’experts nationaux et internationaux venant surtout de la «City of London». L’expérience de la capitale britannique en tant que « first » place financière par laquelle passe près du tiers des transactions financières mondiales étant légion.
Comment un pays comme la Tunisie peut s’inspirer de l’expérience anglo-saxonne pour s’ériger en tant que plateforme régionale de finances? Quels sont ses atouts ? Son positionnement ? Sa spécificité ?
Outre l’ emplacement géostratégique imparable, de la Tunisie, comment pourrait-elle se prévaloir par rapport à ses voisins de l’Est ou de l’Ouest maghrébin ou encore africain pour attirer investisseurs et bailleurs de fonds ?
Londres, centre économique et financier du Royaume britannique est principalement composée de banques, de compagnies d’assurances, de grandes entreprises, de journaux et bien entendu de la Bourse de Londres. C’est le plus important marché de devises de par le monde. La City pèse à elle seule + de 13% du PIB britannique. Londres ne s’est pas faite en un jour,sa puissance financière est ancienne et est liée à l’aristocratie anglo-saxonne du 13ème siècle.
Tunis, en tant que place financière, ne se fera pas non plus en un jour, car pour réussir l’émergence d’un environnement financier viable, il faudrait des préalables. Des préalables d’ordre économique, explique Ezzeddine Saïdane, directeur général de Directway Consulting, d’autres d’ordre administratif, technique et financier.
Une croissance économique rapide est donc requise soutenue par une maîtrise du budget de l’Etat et de la balance courante. Des niveaux de dettes et de service de la dette raisonnables et une capacité de création d’emplois satisfaisante. Il faudrait également que l’économie soit capable de résister aux chocs internes et externes, qu’elle soit performante, diversifiée et compétitive.
Sur le plan réglementaire, un pays ambitionnant de devenir une place financière régionale doit être doté d’une administration consciente de son rôle stratégique dans la mise en place d’un climat légal clair et stable compatible avec les standards internationaux et évolutif au gré des changements environnants. L’information à propos de l’économie et des systèmes financiers aux échelles mondiale et nationale doit être transparente, crédible et disponible. La fiscalité doit être exemplaire, souple et simple
Et puis «last but not the least», il faut que les progrès technologiques non seulement suivent mais que les structures et établissements bancaires et financières soient à l’avant-garde en matière d’usage des nouvelles technologies. La place de Londres a été la première à user des logiciels Microsoft à leur naissance. La City de Londres n’a jamais cessé d’innover en proposant à ses clients des services d’assurance, d’intermédiation ou de paiement à tel point qu’aucune autre place financière n’a pu la concurrencer.
Qu’en est-il de la Tunisie ?
Les infrastructures bancaires et de télécommunications nationales peuvent être considérées comme fiables mais ne répondent pas à ce jour à tous les standards internationaux. Et quoique la restructuration bancaire aux dires de Mohamed Rekik avance « sûrement et lentement », le système bancaire, est resté très local et fragmenté. Les banques n’ont pas atteint la taille critique qui leur permette de se positionner en concurrentes sérieuses face aux mastodontes du système bancaire international. Nous n’osons même pas penser à la future disposition des salles de marchés, centre névralgique du marché monétaire et où sont mises en œuvre les technologies de l’information les plus avancées, si le dinar venait à devenir convertible. Nos institutions financières sont-elles toutes à la pointe de la technologie ?
Et où en sont nos compagnies d’assurances sensées avoir réalisé d’importantes avancées par rapport à leurs rivales maghrébines et africaines ? A l’instar des banques, elles ont encore de la peine à atteindre des tailles critiques et encore moins d’imagination pour créer des produits innovants et attractifs. Les compétences et les expertises humaines dans le secteur financier ne sont pas très encouragées, si elles existent, et nombreux (ses) sont ceux ou celles qui partent tenter leurs chances sur les marchés internationaux. Et pour terminer, une grande carence : la communication ! Un volet indispensable et capital qu’on ne cite pas souvent dans le milieu financier et bancaire tunisien. Or une communication transparente, fluide et claire est un signe de bonne gouvernance et une marque de sécurité et de confort rassurante pour les investisseurs, actionnaires ou bailleurs de fonds.
Sans tomber donc dans un optimisme complaisant ou béat ou encore moins dans un pessimisme cynique et alarmiste, il faudrait peut être loin des déclarations d’intention, prendre le temps et avoir surtout le courage de faire un diagnostic réel et lucide de la situation du secteur financier dans notre pays.
Car c’est bien beau de se lancer dans des réformes continues, de moderniser les réglementations, de baisser les créances accrochées à 12,2% aujourd’hui, 11,2% si on applique les règle de Bâle II.
L’idée de constituer des pôles bancaires importants de banques publiques comme la STB et la Banque de l’Habitat est pertinente. Même s’il existe des craintes légitimes que la Société tunisienne de Banque qui souffre d’un grand nombre de créances classées ne porte atteinte aux performances de la BH ou que les personnels des deux banques habitués à gérer chacun de leur côté ne soient pas disposés à intégrer la même entité … Et à ce niveau, le terrain doit être déblayé en amont.
Les fusions d’institutions bancaires publiques seraient sans effet si les privés ne suivent pas. Car dans la logique des choses les opérateurs privés devraient prendre le pas sur les publics, or il y a là aussi des entraves importantes inhérentes à une culture en premier lieu. Les grandes banques privées sont familiales. Comment convaincre les familles à s’allier entre elles pour être plus fortes et se compléter face à l’ouverture prochaine du secteur des services plutôt que de se livrer une concurrence sans répit?