Ils ont entre 60 et 65 ans. Ils sont en pleine possession –ou presque- de leurs
moyens. Ils ont tout leur temps. Nostalgiques mais réalistes. Edifiés sur la vie
et ses contingences. D’une efficacité de soldat. Et bien décidés à réussir leur
retraite. A ne pas sombrer dans l’inévitable papy-blues. Alors que la génération
de l’ère libérale des années soixante-dix, missionnaire, pionnière, disciplinée
et sûre d’elle, commence à grossir le flot des retraités, le pays s’interroge
sur la dénatalité ambiante qui se fait déjà sentir dans les écoles primaires et
suit de près le redéploiement social d’un important segment d’une population,
solidement implantée, pendant des décennies, dans les rouages de la fonction
publique et les chaînes de commandement et d’exécution du secteur privé.
Au-delà de l’image du senior rayonnant, bon vivant, voulant encore imprimer sa
marque sur le monde, le passage d’une vie professionnelle intense, avec ses
rapports de forces et ses luttes d’influences, à «des vacances» de longue durée,
peut être mal vécu. L’organisation de cette délicate étape de la vie est donc de
rigueur. D’après certaines études menées au sein du ministère des Affaires
sociales, les jeunes sexagénaires tunisiens, issus pour la plupart des classes
moyennes, se penchent, avant le départ effectif à la retraite, sur les questions
cruciales qui les attendent, liées généralement au calcul de la future pension,
à la gestion du temps libre, au repositionnement social, à la réorganisation de
la vie familiale et au maintien de la forme physique.
Au fait, tous n’ont pas les mêmes appréhensions. Ni les mêmes attentes. Mais ils
savent qu’ils sont en train de faire le grand saut. Comment s’adapter à des
loisirs forcés après une carrière stressante? Telle est la question qui les
taraude tous. Selon certains sociologues, le temps délicat de l’adaptation dure
entre six mois et deux ans. De toutes les manières, sans être mécontents de
quitter leur emploi après une fin de carrière que la plupart jugent «mal gérée»,
les apprentis retraités, surtout les anciens cadres moyens et supérieurs, ne
semblent pas hostiles à l’idée de retravailler. Souvent, ils se lancent
immédiatement à la recherche d’un nouveau statut. Pour regagner du pouvoir.
Reconquérir la reconnaissance sociale. Redevenir des chefs. On ne se refait
pas….Ah ! Ego, quand tu nous tiens!
«Que ce soit pour s’occuper ou gagner de l’argent, la retraite dans notre pays
est désormais vécue, à l’aube du XXIème siècle et au temps de la libéralisation
des pans entiers de l’espace public, comme une seconde chance pour se
réapproprier son destin, recentrer ses choix, renouer de nouveaux rapports
humains et entamer une vie ludique et volontariste», nous dit Aissa Baccouche,
ancien maire de l’Ariana et sociologue. Pour lui, les séniors doivent avant tout
s’amuser, se couler dans le monde associatif, partager leurs compétences,
apprendre à garder du temps pour eux, tout en continuant à protéger leur vie de
couple, dont la version “retraité“, peut tourner au vinaigre et virer à la
guerre de tranchées.
Car les chiffres du ministère de la Justice et des Droits de l’Homme confirment
que le divorce ne fait plus peur aux sexagénaires. Au contraire, à cet âge,
certains sautent le pas plus facilement. Les enfants sont à l’abri. Ils sont
majeurs. Et la tentation d’en découdre est à l’affût.
Là encore, les psychologues prônent une réorganisation du temps partagé comme de
l’espace du foyer, une coordination des agendas au niveau de la semaine et une
revitalisation des ambitions communes, afin d’entamer cette période de
transition, où il y aura forcément des flottements, avec des garde-fous,
susceptibles de relancer, dans de bonnes conditions, le troisième tome de la vie
des uns et des autres.