Exploit technique, fiasco financier : le tunnel sous la Manche fête ses 20 ans

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à Coquelles (Photo : Denis Charlet)

[01/12/2010 07:01:50] LILLE (AFP) Eurotunnel, l’opérateur du tunnel sous la Manche, célèbre mercredi les 20 ans de la première galerie creusée sous la mer entre la France et l’Angleterre, s’affichant optimiste sur son avenir après une histoire minée par les déboires financiers.

La poignée de main des ouvriers français et britannique, Philippe Cozette et Graham Robert Fagg, à 100 mètres sous la mer, est restée dans les mémoires. Elle fut fêtée comme un événement historique le samedi 1er décembre 1990. Après plus de 200 ans de projets plus ou moins sérieux, et toujours avortés, la Grande-Bretagne venait de perdre son insularité.

Quelque coups de marteaux-piqueurs et les derniers centimètres de parois s’écroulent devant les caméras et sous les hourras des quelques dizaines d’invités présents. Le “bonjour” et le “welcome” échangés par les deux ouvriers concrétisent la jonction d’un premier tunnel (la galerie de service), avant les deux autres galeries prévues pour le passage des trains.

L’ouvrage de 50,5 km est une prouesse technologique et une première mondiale avec ses 35 km creusés sous la mer par des tunneliers, énormes taupes métalliques de 1.000 tonnes, guidés par satellite. Le “chantier du siècle” sera aussi un fiasco financier pour les centaines de milliers de petits actionnaires ayant acquis des actions Eurotunnel à leur lancement fin 1987, pour constater qu’elles ne valaient quasiment plus rien 15 ans après.

Les prévisions initiales de fréquentation étaient “extravagantes”, comme le souligne la direction actuelle d’Eurotunnel. Les coûts ont explosé : 12 milliards d’euros pour la construction, 3 milliards pour le matériel roulant.

La dette sera un fardeau insupportable pour l’entreprise jusqu’à sa restructuration financière et une réduction de la dette de plus de moitié (de 9 à 4,24 milliards d’euros) approuvée par les créanciers au printemps 2006, après de multiples soubresauts.

D’un point de vue opérationnel, le tunnel, inauguré en mai 1994 par la reine Elizabeth et le président François Mitterrand, est pourtant un succès. Les navettes qui transportent en 35 minutes voitures et camions d’un bout à l’autre de la Manche sont une concurrence redoutable pour les ferries, comme en témoignent les difficultés de la compagnie SeaFrance en redressement judiciaire.

Les trains Eurostar (filiale à 55% de la SNCF) relient aujourd’hui Paris et Londres en 2H15.

Opérateur du tronçon ferroviaire le plus fréquenté au monde, Eurotunnel détient 40% de parts de marché pour l’acheminement transmanche des voitures. La société était tombée à 23% après l’incendie de septembre 2008 qui avait endommagé 700 mètres de galerie et limité la capacité du tunnel pendant cinq mois.

En 1996, un autre incendie important avait causé un préjudice de 200 millions d’euros à la société.

Mais dans les deux cas, aucune victime n’a été déplorée, et les sinistres ont paradoxalement souligné la sécurité de l’ouvrage.

Assaini par Jacques Gounon, PDG arrivé en 2005, Eurotunnel a versé pour la première fois des dividendes à ses actionnaires en 2008, puis de nouveau en 2009, enregistrant deux exercices comptables bénéficiaires consécutifs. En 2010, le résultat devrait être de nouveau légèrement bénéficiaire.

La page des déboires financiers “est complètement tournée”, explique aujourd’hui la direction. Elle mise sur la libéralisation du rail en Europe qui pourrait lui permettre d’accueillir des trains de la Deutsche Bahn, en plus des Eurostar actuellement en monopole.