Pièce maîtresse de la chaîne logistique (Supply Chain) la Douane opère une transition profonde pour se mettre en phase avec la pression de l’ouverture et les contraintes de la mondialisation. Malgré ses progrès de compétitivité, elle ne veut pas se soustraire aux exigences de performance qui émanent des opérateurs.
Quand le corps des Douanes et les jeunes dirigeants se font face, on s’en doute bien, cela fait de l’effet. Samedi 27 novembre 2010, Slim Ben Ammar, président du Centre des jeunes dirigeants (CJD) et ses troupes recevaient, le grand corps des douanes qui présentait, à l’occasion, l’agenda de son programme des réformes en cours et de celles à venir.
Des moments de choc, pas de langue de bois mais de l’éthique
Leur rendez-vous annuel est devenu coutumier. Hôtes et invités ont eu l’intelligence de cultiver une relation de proximité. Complices, jamais complaisants. Pour les premiers, c’est un moment pour interjeter en direct et en «full contact» dans une posture «d’action directe». Pour les seconds, c’est une tribune pour faire de la pédagogie, s’expliquer sur le sens et la portée des réformes et, dans le même temps, détecter le gisement des améliorations qu’il convient d’inscrire parmi leurs priorités. Le CJD, espace d’effervescence, par nature et par destination, persiste et signe dans cette ambiance remuante et tellement inventive, qui produit des étincelles mais de laquelle jaillissent des recommandations positives et constructives.
Cette matinée fut, à la fois, laborieuse et besogneuse pour les uns et les autres. Une mêlée ininterrompue! Une pression soutenue, des échanges nourris sans basculer dans la «grande lessive». Quatre heures durant, les Jeunes Dirigeants ont soumis Slimane Ourak, DG de la Douane tunisien, qui était accompagné, pour la circonstance, de son staff au complet, à des rafales d’interpellations pertinentes et d’interrogations incisives et percutantes.
Bien en verve, les JD n’ont manqué ni d’allant ni de mordant. En résumé, ils ne voudraient pas que ce «sas» du commerce extérieur, à l’import et à l’export, récupère en formalisme ce qu’il a perdu en bureaucratie. Il ne faut pas que le pointillisme tatillon prenne la place de l’inertie. Les préjugés ont la vie dure. Il y a toujours le relent de cette image négative de l’obstruction à l’efficacité. On a tendance à sur-exagérer l’inertie de la Douane car la mondialisation a imposé l’impératif de célérité, voire d’instantanéité.
Slimane Ourak, s’employa à dissiper l’image du douanier «droit dans ses bottes», rappelant que la Douane se réforme avec le même potentiel de réactivité que chez nos compétiteurs et autres partenaires européens. Et il martèle qu’elle est réceptive et à l’écoute. Mais, ajouta-t-il en substance, autant elle peut transiger en ce qui concerne ses attributions propres, autant elle ne possède aucune marge de manœuvre en ce qui concerne les tierces administrations. La charge des contrôles techniques n’est pas une prérogative de la Douane mais une exigence des autres départements qu’elle est chargée de faire respecter, obligation à laquelle elle ne peut se dérober. Cela fait que, tout en étant en première ligne, la maîtrise de l’œuvre lui échappe. Et, les irrégularités du contrôle technique empêchent le dédouanement des marchandises. Et cela éclabousse, de manière partiale, regrette-t-il, la diligence de la douane.
Pourquoi, en dépit d’avancées significatives, des contrariétés persistent sur le terrain?
Les situations extrêmes: les torts sont partagés?
Il y a des contingences dans la pratique économique qui mènent vers des situations aberrantes. La méconnaissance des opérateurs -cela ne fait pas de doute- est en cause. Mais à quand alors des manuels de procédures à leur disposition? Un agriculteur, exerçant une activité de transformation agro-industrielle, non assujetti, par mesure d’exonération, mesure incitatrice, ne dispose pas de matricule fiscal lequel sert d’identifiant douanier exclusif, voit ses opérations bloquées avec la Douane? C’est une situation gênante et qui trouve pourtant son dénouement dans un artifice banal. Pour surmonter cette entrave, il lui faut constituer une entité commerciale d’appoint, une SUARL faisant l’affaire, pour se doter d’un matricule fiscal et opérer sans encombre. L’aviculteur aurait pu songer à demander conseil. On peut le blâmer pour son absence de réflexe professionnel. On peut tout aussi bien accabler la Douane pour l’absence de manuel de procédure dont Slimane Ourak promet une sortie imminente.
La disponibilité de la Douane: quel degré d’efficacité?
Le directeur général de la Douane plaide pour la réceptivité de ses services. Il met en avant la disponibilité des douaniers pour écouter et conseiller, en cas de litige. La Douane sait transiger. Mais rétorquent les JD, ses réponses sont anonymes et ferment la porte à toute forme d’appel. Quand un courrier vous informe que votre importation/exportation n’est pas règlementaire, vous n’êtes pas plus avancé. Il faut étayer la réponse en spécifiant la nature de la non conformité et la disposition réglementaire à laquelle elle se heurte afin d’éclairer l’opérateur sur quoi agir et la nature de la correction à apporter. Le DG a pris l’engagement de redresser les choses et d’adapter les réponses en conséquence.
Cela est encore plus problématique quand il y a vide procédural. Une marchandise nouvelle peut surprendre les services qui n’ont pas été assez prompts à lui assortir une NGP. L’importateur/exportateur se trouve pénalisé car il ne peut dédouaner sa marchandise. Dans le cas d’espèce, la «jurisprudence» douanière veut qu’au préalable l’opérateur saisisse la commission ad hoc qui est hebdomadaire et qui est configurée pour transiger.
Il est vrai qu’un minimum de culture procédurale est nécessaire. On comprend la position de Slimane Ourak qui soutient que la méprise en la matière ne doit pas être imputée à la Douane. Le blocage en l’occurrence n’est pas à mettre au tort des services auxquels on a trop tendance à leur faire porter le chapeau, sans trop de discernement. Cela, parfois peut bloquer. On l’a vu avec cet autre importateur qui voit son conteneur de produits agricoles consigné faute de fiche phytosanitaire, exigence du département de l’agriculture. Une année que cela dure. L’importateur pensait peut-être pouvoir se «débrouiller» avec une fiche de contrôle, document presque équivalent. Rien n’y fait. La fiche sinon rien. Pour se «dédouaner», les services soutiennent qu’en la matière ils ne disposent d’aucune latitude pour interpréter les «textes». La discipline professionnelle les contraint à une observation stricte et, hélas, rigide de la réglementation. En pareille situation, la Douane envisage toujours le scénario du pire. Si jamais la marchandise est «contaminée», la responsabilité retomberait intégralement sur ses services.
Le Groupe Cherif reçoit des «Documents» relatifs à une importation avec un cachet peu apparent. Ne pouvant déduire l’origine de la marchandise, la Douane, redoutant la contrefaçon, exige l’apposition des cachets adéquats en adressant un courrier aux douanes italiennes. Ni celles-ci ni le fournisseur n’ont fait diligence. Pour la marchandise restée en souffrance, l’importateur a dû présenter une caution, qui est d’un montant conséquent et l’affaire ne s’est pas encore débloquée.
Les voies de recours, les indicateurs de performance
A l’évidence, des situations similaires sont contrariantes parce qu’elles font toujours planer une suspicion sur le degré d’efficacité des services. Mais comme l’indiquait le DG, les accidents d’inertie peuvent se produire chez les opérateurs également. Environ 50% des marchandises dédouanées, dont la moitié appartient à des industriels pourtant familiers des opérations de dédouanement, ne sont enlevées qu’après trois jours en moyenne. Mais, rappelle le DG, les opérateurs ont toujours un recours auprès d’une structure de contentieux, laquelle est présidée par un magistrat qui est donc dotée d’un pouvoir judiciaire. Et en cas, où elle se déclare incompétente, l’Organisation mondiale des douanes peut être sollicitée et la Douane ne se dérobera pas à ses conclusions. Mais le DG voudrait que ses services performent et rappellent toutes les dispositions du programme qualité. Les délais de dédouanement soutiennent –ils ne prennent qu’une matinée et les frais de douane sont quasi nuls.
Mais voilà chaque fois qu’il s’agit de prestations en transversalité, il y a des couacs, on a pu l’observer dans d’autres secteurs comme le tourisme. L’infrastructure portuaire fait intervenir plusieurs intervenants, les armateurs, les transporteurs, la STAM, les transitaires, les déclarants et toute cette chaîne peut peser sur le sort du dédouanement.
La Douane sait que le pays est engagé dans une compétition sans merci et sans fin, et dans ce sillage, elle évalue, en permanence, ses indicateurs de performance. Elle a engagé un programme de normalisation Marhaba. Une norme ISO aurait plus d’effet mais le choix est fait par la tutelle.
De toutes les façons, le DG a exhibé des tableaux de benchmarking que les services actualisent pour des comparaisons avec des sites de pays compétiteurs sur la région et dans le pourtour méditerranéen. La Douane tunisienne tient le rang mais n’entend pas lever le pied de ses programmes de qualité et cherche à neutraliser les écarts de coût de standing et d’efficacité. C’est une lutte de longue haleine et la Douane tunisienne ne manque pas de souffle. Elle sait que tous les points qu’elle peut marquer serviront le pays dans ses classements internationaux tel «Doing Business» ou celui de Davos.
La Douane est engagée sur plusieurs fronts. Le premier est celui de l’efficacité de la «Supply Chain», et le DG soutient que c’est la première de ses priorités.
Une réactivité en «live»
Ce fut une matinée comme on les aime. Les débats ont été de haute facture. Slimane Ourak fut sollicité de bout en bout. A aucun moment il ne s’est défaussé. Il a offert, en direct et en vrai, une démonstration de la gouvernance qu’il applique, mettant en avant ses collaborateurs, n’esquivant jamais les critiques, manifestant de la hauteur, du discernement et un sens aigu des responsabilités. C’est tout à son honneur et au crédit de ce grand corps, rempart de l’économie nationale. Et ça se passe comme ça au CJD. Les JD éreintent leurs invités mais procèdent d’un fluide positif.
L’intransigeance intellectuelle des JD n’a d’égal que la pertinence de leurs propos débridés mais mesurés. La langue de bois n’est pas leur rayon et c’est ainsi depuis le début avec Abdelaziz Dargouth, puis Monia Saïdi -qui était présente à cette matinée du reste-, en signe d’engagement fervent pour la bonne cause, et ça continue avec Slim Ben Ammar, avec toujours plus d’énergie et d’audace, élégance en prime.
Le président du CJD, jusque dans son speach de remerciement, ne lâche pas prise. A quand le guichet unique? Et l’on a appris de la bouche du DG que son ouverture est imminente.