Hassen Zargouni, fondateur-directeur général de SIGMA Conseil, nous livre, encore une fois, un diagnostic du paysage culturel sous le prisme des chaînes de télévision dans le Bassin méditerranéen.
D’emblée, M. Zargouni pose une problématique fondamentale, à savoir “le Méditerranéen est-il un téléphage comme les autres?“. Pour y répondre, il estime tout d’abord que “l’identité et l’échelle des valeurs ne se forgent pas là où on pourrait le croire…“. En effet, souligne-t-il, «aujourd’hui, les identités et les échelles de valeurs des gens qui vivent autour de la mer Méditerranée ne se forgent plus au gré des échanges commerciaux qui la caractérisaient jadis, ou des transhumances nord-sud ou sud-nord de longue ou de courte durée, amicales ou belliqueuses dont elle était familière…»
Et si ces identités et ces valeurs ne se forgent plus par l’écrit et les opuscules (il s’en édite moins dans l’ensemble du monde arabe en un an qu’en Grèce!), alors elles (les identités et les valeurs) se forgent, actuellement, tous les jours à travers l’impact des 3 à 4 heures quotidiennes que chaque habitant des pays du pourtour méditerranéen consacre à regarder la télévision.
Pour étayer cela, notre spécialiste indique que «les écrans sont aujourd’hui partout, on les trouve dans les foyers, dans les cafés, dans les salles de détente aménagées par les entreprises, … et de toutes sortes, de l’écran TV, à celui du jeu électronique, au Smartphone,… mais le poste de TV dans le salon du foyer trône en maître. Les meubles, voire l’architecture des habitations, sont conçus en fonction du confort du téléspectateur…». Du coup, «le Méditerranéen téléphage est de plus en plus intellectuellement façonné par le contenu médiatique véhiculé par les programmes de télévision qu’il consomme à longueur de journée, cela n’est pas épidermique, c’est bien plus profond…».
Paraphrasant un adage bien connu, l’auteur souligne «Dites-moi ce que vous regardez, je vous dirai qui vous êtes…», pour souligner la disparité ou la différence entre un nord-méditerranéen et un sud-méditerranéen. Selon Hassen Zargouni, «généralement, un Italien ne regarde pas des chaînes TV espagnoles, un Français ne regarde pas plus que ça les programmes portugais», par contre, «du côté sud de la Méditerranée, l’audience de la télévision est plutôt éclatée entre chaînes locales, panarabes et internationales…». Cependant, M. Zargouni précise que cette tendance est plutôt favorable aux chaînes satellitaires du Moyen-Orient, car depuis une dizaine d’années, on dispose, du côté sud de la Mare Nostrum, d’une masse importante d’informations fiables lesquelles indiquent clairement «une orientalisation de l’auditoire maghrébin tant au niveau du choix des programmes de fictions et de l’Entertainment que le choix des canaux d’information». Par contre, «au Machrek, on assiste à un attrait toujours vivace exercé par les programmes américains, notamment les fictions, auprès des jeunes et à l’essor de la demande des ménagères orientales pour des fictions syriennes et turques en haut et place des fameux feuilletons égyptiens à l’eau de rose».
A partir de là, le DG de Sigma Conseil tire une première conclusion: «…les canaux cathodiques entre la rive sud et la rive nord de la Méditerranée sont quasiment coupés. Les gens du sud n’ont plus les codes pour accéder au mental du nord tel que reflété par ses médias. Les gens du nord font comme si les médias du sud n’existaient pas, ils se condamnent à ne jamais comprendre l’homme du sud».
Et pour M. Zargouni, cette situation relève “de la responsabilité des élites et des télédiffuseurs“… Tout en estimant que la vocation de la télévision n’est pas de préparer des cerveaux prêts à adhérer à une marque de cola ou développer un sentiment islamophobe, ou d’encourager des jeunes au sacrifice ultime de leur corps pour des causes et des agendas politiques les dépassant…, le spécialiste des médias indique que «ce qui est diffusé aujourd’hui autour de la mer Méditerranée comme programmes TV le suppose, du moins le suggère». Alors, il propose qu’il y ait «des coproductions, des échanges de programmes, des regards croisés, des efforts sur la traduction d’œuvres télévisuelles de part et d’autres de la Méditerranée…», afin de «faire connaitre l’autre, dans ses multiples facettes, notamment celles les plus authentiques, celles se rapportant à son vécu quotidien. Une part d’universalité naitrait nécessairement de cette manière d’exposer l’autre, une forme d’humanité partagée, en quelque sorte».
Pour finir, il invite les élites à prendre conscience, primo, du poids de la télévision dans la formation identitaire contemporaine, secundo de peser sur les choix éditoriaux, tout en essayant d’être capables de créer les conditions de création de contenus «œcuméniques», transnationaux, rapprochant les peuples de la Méditerranée…