III- Lacunes en matière de documentation des opérations sur les produits dérivés
La conclusion de transactions sur des instruments financiers à terme avec (i) des entreprises (ii) d’autres banques locales ou (iii) des banques étrangères peut s’avérer une activité très risquée pour les banques tunisiennes du fait de l’absence d’une documentation juridique sûre et fiable assurant les droits et obligations de chaque contrepartie.
De l’étude de la circulaire de la Banque centrale, il est important de signaler l’importance de la mise en place d’une convention-cadre de la place (1) et de la vulgarisation de la convention-cadre ISDA auprès des professionnels de la banque en Tunisie (2).
1. Importance de la mise en place d’une convention-cadre de la place
La circulaire de la Banque centrale de 2001 mentionne, à tort dans l’article 51, que «Les Intermédiaires Agréés sont tenus de signer avec leur clientèle une convention-cadre du type “ISDA“ régissant leur activité sur options de change». Cet article commet deux importantes aberrations: d’une part, il se réfère à la signature d’une convention-cadre ISDA entre une banque tunisienne et son client tunisien, or l’ISDA est censé régir la relation entre deux parties situées dans deux juridictions différentes surtout que l’ISDA est généralement soumis au Droit anglais ou celui de l’Etat de New York. La deuxième aberration est celle de se contenter seulement d’encadrer les opérations sur options de change, or les conventions-cadre sont appelées à régir la relation entre les deux parties sur tous les produits financiers à terme.
Les banques tunisiennes, à l’instar des banques françaises regroupées au sein de la Fédération bancaire française, doivent, à travers l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers –APTBEF, préparer une convention-cadre locale tunisienne régissant la relation entre les banques elles-mêmes ou entre les banques et leur clientèle entreprises ayant recours aux différents produits de couverture.
Les risques tant juridiques que financiers dans la relation entre la banque et sa contrepartie sont multiples:
– risque de défaut de paiement,
– risque d’insolvabilité ou de faillite,
– risque des cas de force majeure,
– risque d’illégalité de la transaction,
– non-respect des engagements,
– différents risques financiers/juridiques liés à chaque contrepartie (dégradation des états financiers, dégradation de la notation, départ de personnes clés dans la direction, fusion, événement fiscal, modification très significative dans la vie de la contrepartie, la modification de la composition du capital)
Tous ces risques doivent alerter les banques tunisiennes sur la nécessite d’établir une convention-cadre locale qui pourra régir la relation entre les banques elles-mêmes dans les transactions entre intermédiaires agréés et aussi entre les banques et leur clientèle qui peut être des entreprises publiques ou privées.
Cette convention-cadre doit être un mélange subtile entre les meilleures clauses de la convention-cadre française FBF de 2007 et la convention-cadre ISDA 2002 publié par l’International Swap and Derivatives Association. L’erreur serait de se contenter d’adapter la convention-cadre FBF à la «sauce» tunisienne car cette convention montre déjà des limites.
Plusieurs conditions doivent être réunies afin de garantir le succès d’une telle convention:
– la modification de la législation tunisienne sur la faillite afin de faire échapper ces opérations aux règles contraignantes de la faillite. Cette modification encouragera les banques tunisiennes à mieux répondre aux attentes de leur clientèle entreprises et les banques étrangères à proposer des produits plus diversifiés;
– prévoir la règle très importante dite de close-out netting, à savoir la possibilité d’une résiliation anticipée des contrats en cours suivie d’une évaluation contractuelle du préjudice en résultat pour l’une des parties;
– prévoir la possibilité de compléter la convention-cadre par une annexe Remise en Garantie dite procédure de «collatéral». Cette annexe permettra aux deux contreparties, à tout moment, de constituer toute garantie ou couverture en espèces ou en titres, pour tout ou partie des transactions. Cette annexe permettra aux deux contreparties d’opérer avec plus de sécurité.
Il n’est certainement pas nécessaire d’adopter ces nouveautés législatives et réglementaires lors d’un même chantier mais il serait important de mettre en place un plan de réforme d’ici 2014 afin d’accompagner la convertibilité totale du dinar tunisien à cette date.
2. Importance de la vulgarisation de conventions-cadre ISDA
Les premières conventions-cadre ISDA datent de 1987, abandonnées pour une nouvelle version en 1992, toujours utilisée malgré ses limites et une autre version en 2002 plus élaborée répondant plus aux exigences des différents membres de l’ISDA.
Dans leur relation avec les correspondants étrangers, les banques tunisiennes sont souvent confrontées à une exigence de la part de ces correspondants étrangers, constitués essentiellement des grandes institutions financières internationales, de signer des contrats-cadre ISDA. Face à des services juridiques souvent classiques et adaptés à la banque de détail et à la complexité des conventions-cadres ISDA, beaucoup de banques tunisiennes refusent ou demandent la signature d’une convention-cadre FBF soumise au droit français. Les banques tunisiennes doivent pourtant savoir que la signature d’un contrat-cadre, généralement ISDA étant donné que ce contrat-cadre est cross-border, est importante tant pour leurs correspondants étrangers que pour elles-mêmes puisqu’une telle convention offre une sécurité juridique pour les transactions effectuées entre la banque tunisienne et son correspondant étranger.
La faillite de Lehman Brothers témoigne qu’aucune institution financière n’est à l’abri et qu’il est important pour les banques tunisiennes de maîtriser ce genre de documentation afin de pouvoir négocier les contrats-cadre sur des bonnes bases avec leurs correspondants. Une clause de maintenance de propriété dans le capital négocié ou une clause de dégradation de la notation du correspondant étranger permet parfois de sortir d’une situation délicate.
La soumission de la convention au droit anglais offre plus de flexibilité étant donné des avantages qu’offre le common law par rapport au droit français. L’expérience des tribunaux est essentielle aussi étant donné que les tribunaux anglais possèdent une large expérience dans ce domaine. D’ailleurs, l’établissement d’une convention de reconnaissance mutuelle des jugements entre la Tunisie et la Grande-Bretagne serait une étape importante afin d’éviter la procédure de l’arbitrage certes plus rapide mais plus coûteuse.
Il est à noter enfin que l’ISDA s’est mis aussi à la mode «finance islamique» en mettant en place, avec l’aide de l’International Islamic Financial Market (IIFM), dès mars 2010, de l’ISDA/IIFM Tahawwut (Hedging) Master Agreement. Cette convention-cadre est appelée à régir les opérations de dérivés islamiques. Les différentes parties travaillent actuellement sur la mise en place des documents annexes (définitions, modèles de confirmation des transactions, etc.).
La Tunisie s’est engagée dans l’ouverture à la Finance Islamique avec l’établissement de la première banque islamique tunisienne «Banque Zitouna» après celle non-résidente d’Al Baraka.
La Tunisie accueillera aussi, prochainement, le Port Financier de Tunis où les institutions islamiques auront certainement leur place. Autant d’échéances et de défis qui démontrent l’urgence en cette matière afin que tout soit prêt d’ici 2014.