Joseph Schumpeter, théoricien de l’innovation et de l’esprit d’entreprise, a écrit dans son ouvrage «Capitalisme, socialisme et démocratie», le rôle de l’entrepreneur consiste à réformer ou à révolutionner la routine de production en exploitant une invention ou, plus généralement, une possibilité technique inédite… à faire une réussite d’une saucisse ou brosse à dent d’un type spécifique». Cet extrait nous révèle l’importance du risque dans le terme et la mission d’entreprendre, mais d’un autre côté, nous nous trouvons aujourd’hui devant une redéfinition de l’entrepreneuriat qui ne peut en être réellement un s’il est basé uniquement sur le profit et la prise du risque. L’entrepreneuriat de nos jours doit œuvrer pour une société où il y a moins d’injustices et d’inégalités et dans laquelle l’Homme est au centre de tout en conciliant la réussite individuelle et les projets collectifs.
Pour Ridha Ben Mosbah, ministre tunisien du Commerce et de l’Artisanat, «“Entreprendre“ ne signifie pas, pour autant, s’aventurer d’une manière démesurée».
Entretien à propos de sa vision de l’entrepreneuriat et son rôle dans le développement du pays.
Webmanagercenter : Que signifie «entreprendre» pour vous en tant que ministre du Commerce et de l’Artisanat?
Ridha Ben Mosbah: Je ne suis pas entrepreneur comme vous le dites, mais en tant que ministre, j’entends par «entreprendre» le fait de créer une entreprise, de la gérer et la développer. C’est donc un ensemble de processus qui couvrent plusieurs dimensions: innovation, anticipation, prise de risque, sens de l’organisation, mise en œuvre de plans et de projets…
Dans notre contexte d’ouverture et d’intégration dans l’économie mondiale, l’exportation et le positionnement sur le marché international ne sont pas dissociables de l’entreprenariat au sens le plus large.
«Entreprendre» ne signifie pas, pour autant, s’aventurer d’une manière démesurée. Un entrepreneur calcule les risques qu’il prend et évite les situations dangereuses, puisque le premier but d’une entreprise consiste en la recherche d’un maximum de rentabilité. La prise de risque est donc toujours calculée en fonction du potentiel du retour sur investissement.
Dans la théorie du célèbre économiste Schumpeter, bien connu pour ses idées et ses travaux concernant l’entreprenariat, l’entrepreneur serait une personne qui veut et qui est capable de transformer une idée ou une invention en une innovation réussie, c’est-à-dire en un projet concret et rentable.
Quel rôle joue l’entrepreneuriat dans le développement d’un pays ?
Le développement d’un pays dépend de plusieurs facteurs liés d’abord aux politiques et un ensemble de choix économiques et sociaux, favorisant un environnement déterminé. Et l’entrepreneuriat dans un pays en dépend à travers les opportunités qu’il est en mesure d’offrir aux investisseurs.
Certes, le fait de créer, de diriger et de réussir son projet procure à l’entrepreneur le sentiment de pouvoir changer le monde et de s’affirmer et de réaliser ses rêves et ses ambitions. Toutefois, l’entrepreneur, qui doit avoir les pieds sur terre, est appelé à prendre un certain nombre de facteurs en considération, outre ses préoccupations tout à fait matérielles. Son métier consiste en effet à générer des richesses et c’est ainsi qu’il contribue au développement, et est à l’origine de la croissance et de la création d’emplois. Ce sont les entreprises, dans la structure moderne des économies, qui créent l’essentiel de la valeur ajoutée et qui déterminent donc le taux de croissance du PIB.
Il est bien connu et même assez évident qu’il ya une corrélation entre l’augmentation du nombre d’entreprises, le taux de croissance et le nombre d’emplois créés. Le taux de croissance augmente d’autant plus vite qu’il s’agit d’entreprises innovantes et à haute valeur ajoutée. Donc, l’entrepreneuriat est essentiel pour le développement. Sans entrepreneuriat et sans création d’entreprises, il n’y aurait ni croissance ni emplois, ni développement de richesse. Et l’on doit tout faire pour encourager la création d’entreprises et l’esprit entrepreneurial, d’autant plus que l’exiguïté de notre marché local implique de relever le défi de l’exportation qui équivaut à la survie de l’entreprise elle-même.
L’entrepreneuriat est une activité difficile et complexe qui nécessite souvent des conditions préalablement établies pour la réussite d’un projet. L’Etat a donc un rôle important en matière d’appui de l’entrepreneuriat, en modérant le risque et en diffusant la culture d’entreprise, et surtout en favorisant un environnement propice et en soutenant les entreprises qui partent à l’assaut de l’international.
Quel est le rôle de votre ministère dans le développement de l’entrepreneuriat innovant à haute valeur ajoutée?
De nombreuses conditions doivent être réunies pour un entreprenariat réussi. En Tunisie, de nombreuses structures administratives, financières et organisations non gouvernementales œuvrent pour aider et accompagner les entrepreneurs potentiels et les nouveaux investisseurs à réaliser leurs projets dans les meilleures conditions.
La Tunisie s’est engagée, en effet, depuis l’engagement du processus de libéralisation de l’économie durant les années 90, dans des programmes de réformes visant les secteurs économiques moteurs, la création d’emploi et la croissance.
Il y a aussi d’autres domaines horizontaux, à l’instar notamment des réformes se rapportant au développement institutionnel, commercial, fiscal, financier, ainsi que des réformes portant sur le système éducatif et de formation… Toutes ces réformes sont mises en œuvre en vue de favoriser l’initiative économique privée, de créer et susciter l’esprit d’entreprise et de permettre aux entrepreneurs de concrétiser de nouveaux projets d’investissement, notamment des projets innovants et à haute valeur ajoutée.
Ainsi, la stratégie nationale de promotion de l’initiative privée est axée autour de la création de structures, d’espaces d’accompagnement (technopoles, centres d’affaires, pépinières, d’hébergement…), de programmes de formation et d’information (manifestations dont les “Mercredis de la création d’entreprises“, les journées de partenariat..), d’instruments de financement appropriés…
La Loi sur l’initiative économique promulguée en décembre 2007 a eu un grand impact sur l’impulsion de l’initiative privée et l’incitation à l’investissement.
Comment intervenez-vous pour soutenir l’entrepreneuriat?
Concernant le ministère du Commerce et de l’Artisanat, en particulier, il y a lieu de distinguer deux niveaux d’intervention :
-un niveau horizontal, en contribuant à l’amélioration de l’environnement des affaires,
-un niveau segmenté sur les secteurs relevant du commerce et de l’artisanat et plus généralement des services dans le but d’encourager l’innovation, la création et l’investissement.
Quel est votre apport dans le développement du climat d’affaires?
Le ministère veille à garantir une concurrence saine et loyale et à mettre en place une politique de prix rémunératrice et juste, basée sur les mécanismes du marché, sachant que l’intervention de l’administration dans la fixation des prix est l’exception. Le ministère veille aussi à assurer une bonne protection du consommateur.
Dans ce cadre, il ya lieu de souligner l’importance des mesures qui sont mises en œuvre pour développer la concurrence dans le marché, garantir la transparence et lutter contre les pratiques déloyales. Pour ce faire, notre cadre juridique a évolué. La loi de la concurrence et des prix a été révisée dans le sens du renforcement du rôle du Conseil de la concurrence en lui attribuant l’autonomie administrative et financière. Il y a eu aussi création du Conseil national des services (décret n°2009-417) et du Conseil national de lutte contre la contrefaçon (décret n°2009-418), la loi se rapportant au registre du commerce, publiée en avril 2010 -elle vise l’amélioration de la transparence dans le milieu des affaires. La loi portant création de l’Institut National de la Consommation a été publiée en 2008 et qui est active depuis septembre 2009.
En outre, deux projets de lois visant aussi bien la protection du consommateur que la sécurité des produits circulant sur le marché local sont maintenant à niveau avancé d’élaboration, l’un portant sur la sécurité de l’alimentation et l’autre concernant la sécurité des produits industriels.
Quelles sont les actions entreprises par votre ministère pour renforcer la place de l’entrepreneuriat tuniso-tunisien à l’intérieur et à l’extérieur du pays?
Le ministère joue un rôle important au niveau de l’accès aux marchés et de la commercialisation à l’intérieur et à l’extérieur du pays. A ce niveau et dans le cadre du programme présidentiel 2009-02014, un ensemble de mesures relatives à la l’amélioration de l’environnement des affaires et à la simplification des procédures du commerce extérieur ont été prises.
Au niveau de la promotion des exportations des services, notamment ceux à haute valeur ajoutée, 50% des ressources du FAMEX III leur seront alloués, un réseau de communication pour la commercialisation et le commerce électronique (on line 2Export) est prévu, le rôle des conseillers en exportation (En Act) sera renforcé, un système de veille économique est envisagé.
Le ministère pilote depuis des années un projet de développement des exportations PDE dont la deuxième version PDEII vient de s’achever; il comporte une composante importante relative à la facilitation des procédures du commerce extérieur et la dématérialisation des opérations. Des avancées sont enregistrées à ce niveau.
Début 2011 connaîtra le lancement d’une troisième version du programme, le PDE III. Elle se compose de plusieurs volets dont le FAMEX III, le fonds Dhamen Finance et la traçabilité. PDE III couvre également une composante de facilitation des procédures du commerce extérieur: réduction des délais d’accostage aux ports, la généralisation de la liasse transport, la mise à niveau des procédés d’attribution du certificat d’origine délivrés par les chambres de commerce et d’industrie….
Quel est le plus qui sera apporté par la loi relative au commerce extérieur pour le développement des échanges entre la Tunisie et les autres pays?
Le projet de loi prévoit davantage de facilitation des procédures des échanges extérieurs.
Il est à signaler que le classement général de la Tunisie en Doing Business n’a cessé de s’améliorer. Selon le rapport annuel DB 2011 de la Banque mondiale, publié en novembre 2010, la Tunisie est classée au 55ème rang sur 183 pays dépassant la Turquie de 10 rangs, l’Italie de 25, l’Egypte de 39 et le Maroc de 55. Pour le commerce transfrontalier, elle est classée au 30ème rang en 2011 (rapport DB 2011) alors qu’elle était au 42ème rang en 2009 (BD 2010).
Dans le cadre du programme national de la facilitation et la simplification des procédures, on a procédé au remplacement des autorisations par des cahiers des charges. Le ministère du Commerce et de l’Artisanat gère aujourd’hui plus de 20 cahiers des charges dans différents métiers et secteurs. En 2009, deux arrêtés ont été publiés concernant l’approbation des cahiers des charges relatifs à l’organisation du commerce de distribution des aliments du bétail et celui des produits artisanaux tunisiens.
Le ministère intervient dans les régions à travers les chambres de commerce et d’industrie et les centres d’affaires pour appuyer la relance de nouveaux projets et aider les entreprises à se construire et à se développer. En effet, huit chambres de commerce réparties sur le territoire tunisien contribuent à l’impulsion de l’initiative privée, la relance de l’investissement et à la promotion des exportations. Et on compte aujourd’hui 24 centres d’affaires bénéficiant d’aides financières et logistiques des chambres de commerce qui œuvrent pour faciliter la réalisation des projets et d’offrir les services nécessaires aux nouveaux entrepreneurs pour le lancement ou le développement de leurs projets.
Et dans le but d’aider les entreprises, deux nouvelles unités ont été créées au sein du ministère; une relative à l’écoute des investisseurs, et une autre pour l’amélioration de la qualité des services administratifs.
Quel est votre rôle dans le renforcement de la politique de l’innovation au niveau de nos entreprises? Y’a-t-il des mesures spécifiques dans ce sens?
Des mesures spécifiques relatives aux secteurs du commerce, des services et de l’artisanat pour encourager l’innovation, la création et l’incitation à l’investissement ont bien entendu été prises.
Les secteurs de l’artisanat et du commerce connaissent, depuis des années, un bond de modernisation et de mise à niveau. Plusieurs programmes sont à cet égard déployés, à l’instar du Programme de Mise à niveau des circuits de distribution des produits agricoles et de la pêche, le programme de mise à niveau des services, et la mise à niveau des entreprises artisanales. Plusieurs éléments et mesures ont contribué à l’amélioration de l’entrepreneuriat dans le secteur du commerce.
La Loi sur le commerce de distribution: Dans le cadre de la modernisation du secteur du commerce, une nouvelle loi sur le commerce de distribution a été promulguée. Il s’agit de la loi n°2009-69 du 12 août 2009 portant sur le commerce de distribution qui a introduit de nouvelles mesures qui vont stimuler l’entrepreneuriat dans le secteur grâce notamment à la règlementation de la franchise, et des centrales d’achats.
La Pépinière des projets du commerce électronique: afin de promouvoir les projets innovants dans le secteur du commerce électronique, le ministère a lancé en 2006 une pépinière des projets dans le commerce électronique. Elle compte aujourd’hui 10 jeunes promoteurs, dont 3 projets sont entrés déjà en activité. D’ailleurs, il existe un guide téléchargeable sur le site du ministère, il est conçu pour aider les jeunes entrepreneurs à créer leurs projets dans le commerce électronique.
Le ministère a conclu en 2007 un accord de financement avec la Banque tunisienne de solidarité (BTS) afin de financer les projets dans le commerce. De son côté, la Banque tunisienne de solidarité (BTS) a continué à accorder son concours au secteur du commerce afin d’appuyer la réalisation des projets entrant dans le cadre de la mise à niveau de ce secteur et de sa promotion. Elle a octroyé, au cours de 2009, une enveloppe globale de 13,4 MDT pour financer des projets pouvant assurer la création de 2.743 nouveaux postes d’emploi. Dans le secteur de l’artisanat, la BTS a 361 projets en 2008, pour un montant de 2.4 MDT, et qui ont permis de créer 814 postes d’emploi.
Le programme de mise à niveau des services: Le ministère gère actuellement un programme de mise à niveau des services, qui a été lancé en 2009 sur instruction du président de la République. Ce programme vise dans une première phase la mise à niveau de 100 entreprises. Il a déjà entamé des actions qui concernent l’amélioration de l’environnement juridique de l’entreprise, et l’instauration d’un système d’information sur les services. Ce programme contribuera certainement à l’amélioration du climat des affaires dans le secteur des services, et impulsera l’investissement.
Le secteur de l’artisanat bénéficiera aussi de certaines actions pour développer l’innovation et la création dans le cadre du programme présidentiel, il s’agit de la création de la ville de l’artisanat et des métiers d’art et de la généralisation des villages des métiers dans tous les gouvernorats du pays. 17 conventions signées entre le ministère de l’enseignement supérieur et l’Office national de l’artisanat porteront leurs fruits pour le développement de projets innovants, 5.000 projets sont prévus d’ici 2014…
Pouvons-nous dire que la Tunisie offre l’environnement rêvé pour tout entrepreneur qui veut réussir?
Tout à fait. Je dirais que la Tunisie a développé un cadre réglementaire et institutionnel favorable à l’investissement et à l’exportation, ce qui justifie d’ailleurs l’évolution continue de l’investissement étranger et même tunisien.
Le grand défi à relever maintenant consiste en la consolidation de cet environnement par de nouveaux acquis, dans un contexte international variable et incertain, afin de permettre aux entreprises de passer à un palier supérieur d’activité et d’exportation. Et pour cela, les entreprises elles-mêmes ont un grand rôle à jouer, pour l’identification des options d’optimisation pour leur épanouissement, celui de leurs employés et par-là de l’économie nationale.