Tunisie-Finance : Faire sauter la banque, est-ce une bonne idée?

Le «King Eric» a raté son tir. Les Français n’ont pas répondu à son appel et n’ont pas retiré leur argent des banques. Lui-même ne l’a pas fait, il aurait tout au plus opéré un retrait symbolique. Il aurait dû, comme l’a sous-entendu Christine Lagarde, ministre française de l’Economie, se suffire d’être un joueur talentueux ou un acteur doué. Les banques françaises en émoi après qu’il a appelé ses compatriotes à vider leurs comptes ont poussé un grand ouf de soulagement, et la journée du 7 décembre, qui devait sacrer la déclaration de guerre Cantona qui voulait que le système financier «s’écroule» s’est déroulée sans incidents.

Pour Dhafer Saïdane, Professeur au Skema Business School, «c’est un cri de désespoir qu’il faut savoir entendre. L’idée est naturellement fausse et dangereuse. Fausse car la banque est le moteur de l’économie. Elle finance les projets productifs et contribue à la création d’emploi». Il est de bon ton aujourd’hui de “casser du banquier” à cause de “leur cupidité”. Toutefois, le comportement excessif de certains banquiers en matière de rémunération ne doit pas éluder la fonction économique de la banque. «Sans elle, “l’organisme économique” ne pourra pas être irrigué du flux financier nécessaire à sa croissance. L’idée de “faire sauter la banque” est aussi dangereuse car l'”effet domino” que cela pourra provoquer serait désastreux sur la liquidité des banques. Bien entendu, l’Etat interviendrait en tant que prêteur en dernier ressort mais son intervention suffirait-elle à éteindre l’incendie des retraits inopinés alimentés par la panique et le mimétisme? Par ces temps de vaches maigres, crises grecque, irlandaise, portugaise…et de défiance de l’euro, cet appel “à la pagaille” ne fait que ralentir notre rendez-vous avec la croissance.

Toutefois et toujours selon Dhafer Saïdane, des réformes devraient être réalisées pour que les banques «vertueuses qui sont des intermédiaires assurent  leur métier d’origine qui consiste à collecter des dépôts pour financer les projets créateurs d’emplois et au passage toucher une marge dite “d’intermédiation”, c’est-à-dire pour service rendu.

Selon lui, ce sont certaines banques, notamment américaines, qui se sont éloignées de ce schéma canonique pour s’ouvrir sur la spéculation et le gain d’argent facile. Les retours sur investissement ou ROE (Return on equity) qui étaient de 10 à 12% dans les années 1990, ne semblent plus suffir puisqu’ils ont atteint à la veille de la crise des sommets de 40% pour certaines banques d’investissement. Il faut revenir de cette démesure et de ces excès. Il importe de revoir ces niveaux de rendement exigés le plus souvent par les actionnaires. Comment faire revenir la puissance publique sur un marché qui est devenu fou et avide de rentabilité? C’est cette question qu’il nous faudra creuser, assure Dhafer Saïdane.

D’autre part, il estime que le citoyen  doit revendiquer des produits “clean”,  qu’il comprend et qu’il sait contrôler. Il faut que le banquier fasse un effort de pédagogie afin de rétablir la confiance perdue et donner du sens à son action. «Il faut expliquer et sortir des clichés qui ont des racines dans notre imaginaire collectif et qui associent le banquier à l’usurier. Il faut que l’Etat retrouve sa place occupée depuis plus d’un demi-siècle par le marché. La banque du XXIème sera durable ou ne sera pas».