Jean Noël Tronc, directeur de Canal Overseas, en charge donc de la distribution du bouquet de la chaîne, de la diffusion de ses programmes et de l’implantation de ses réseaux dans la région MENA et d’Asie, vient d’être limogé, a-t-on appris auprès de certaines sources liées au monde de l’audiovisuel en France, en raison de ses piètres résultats au Maghreb et au Vietnam. On lui reproche, apparemment, un pilotage des dossiers déficient, un retour d’investissement quasi absent (on peut s’interroger d’ailleurs sur la teneur et le volume de ces investissements en Tunisie par exemple), une prise en compte tardive et apathique du phénomène du piratage, un mal endémique qui sévit au sud de la Méditerranée et un déficit flagrant au niveau de l’anticipation et de la réactivité vis-à-vis de régions où les identités batailleuses sont légions.
D’après des sources bien informées, c’est Guy Lafarge, un ancien de la boîte, qui va prendre la relève. Très vite, nous dit-on, il se rendra bientôt compte, contrairement à son prédécesseur, des mutations radicales du paysage audiovisuel maghrébin, branché à 90%, d’après certaines études d’audimat, sur le Nilesat.
C’est un fait. Les téléspectateurs tunisiens, algériens et marocains, devant l’invasion des chaînes satellitaires moyen-orientales, gratuites de surcroît, sont devenus, dans leur grande majorité, des arabophones purs et durs, ce qui a échappé à l’ancien patron de Canal Overseas, dont le tort, affirment certaines fuites, était de fonder ses analyses et diagnostics, en Tunisie par exemple, sur des grilles de lectures du temps de Canal Horizons quand l’engouement pour les variétés hexagonales gardait encore toute sa vitalité et l’absence de chaînes concurrentes, notamment celles du Golfe, encourageait les abonnements chez une large majorité d’un public avide de distractions, d’évasions et de loisirs.
Quel intérêt pour un bouquet payant?
L’attrait pour un bouquet payant, à l’heure des chaînes satellitaires arabes gratuites, dont la programmation diversifiée fait des émules de l’Atlantique au Golfe, repose essentiellement, chez les ménages maghrébins, sur le charme de la fiction (films, séries télévisées, drama, téléfilms…) et la magie du sport, deux piliers disponibles en abondance, depuis des années, avec la multiplication des variantes du groupe MBC et Rotana. Dans ces conditions, certains s’interrogent sur la pertinence et la finalité d’un abonnement à Canal+ alors que les compétitions sportives sont, de nos jours, l’apanage d’El Jazira Sport et les productions hollywoodiennes, le pain quotidien des télévisions moyen-orientales.
Finalement, nous dit un professionnel de l’audiovisuel, opérant au sein de l’Union de Radiodiffusion des Etats Arabes (ASBU), Canal+ est en mesure de mettre fin au piratage, pratiqué à grande échelle dans nos contrées, objet de son courroux et des tergiversations de sa direction, en sécurisant ses chaînes par un mode de cryptage approprié appelé «shipseat sécurisé».
Seulement, insiste notre interlocuteur, le choc de Canal+, dont l’un des récents symptômes est le limogeage de Jean Noël Tronc, provient plutôt des attentes déçues au niveau des recettes escomptées dans une région, naguère chasse gardée de la francophonie, dont une partie des élites, formées autrefois dans les universités françaises, peinent à se reconnaître dans les valeurs du Sarkhozisme, teintées d’un populisme évident et se sentent de plus en plus orphelines face à la montée en force, dans la région, des courants politiques et culturels à forte connotation identitaire.
Changement de stratégie?
Un bon nombre d’observateurs de la scène audiovisuelle s’interrogent sur l’avenir de Canal+ au Maghreb. L’expérience de Canal Horizons en Tunisie, nous dit un habitué des Journées Cinématographiques de Carthage, devrait servir de leçon et pousser la nouvelle direction à mettre la main dans la poche, à penser un plan d’action volontariste, à moyen et long termes, axé sur des investissements, liés au développement de la coproduction avec des partenaires locaux, à l’achat de programmes ciblés, tout en tenant compte des spécificités culturelles et des attentes des téléspectateurs.