Sur une quarantaine de centres d’appels à détenir un agrément en Algérie, seule
une vingtaine seraient réellement en activité dont 80% à Alger, et moins de dix
afficheraient une bonne santé financière. Pourquoi l’Algérie, et ses coûts plus
bas ne réalisent que 12 millions d’euros de chiffre d’affaires dans ce business
lorsque le Maroc et la Tunisie en engrangent 340 et 158? Enquête.
«Il n’y a qu’en Algérie que les standards des ministères ne fonctionnent pas
avec un centre d’appel !, plaisante à moitié un actionnaire de call center à
Alger. Même chose pour les entreprises agroalimentaires ! En tant que
consommateur, si vous n’êtes pas satisfait du jus d’orange que vous avez acheté,
essayez donc de trouver un numéro de téléphone sur la brique…». En clair, le
marché n’est pas encore mûr.
Le plus gros donneur d’ordres sur le marché in shore (local) en Algérie ? Djezzy.
L’opérateur a récemment passé un appel d’offres pour l’externalisation d’une
partie de son centre d’appel, ce qui devrait entraîner la création de plus de
300 emplois. Mais d’après l’Autorité de régulation de la Poste et des
Télécommunications, 70% du chiffre d’affaires des call centers se ferait off
shore, c’est-à-dire avec des clients étrangers. A l’instar de BK Call, créé en
2009 et basé à Chéraga, qui a diversifié ses clients à l’étranger dans le
secteur des assurances, des énergies renouvelables, de la sécurité ou encore des
enquêtes de satisfaction.
«Notre objectif est de garder 50% de notre chiffre d’affaires sur les clients
offshore et sensibiliser les opérateurs locaux dans le domaine du télémarketing
et de l’émission/réception d’appels, précise un actionnaire, mais pour
l’instant, on constate un manque de maturité de la part des entreprises
locales». Pendant ce temps, de l’argent et des emplois se perdent, calculent les
spécialistes du secteur. «Si 50 centres d’appels recrutaient 100 personnes, cela
créerait 5.000 emplois directs. En rémunérant chaque salaire 30.000 DA par mois,
cela reviendrait à 1,5 milliard de dinars de création de richesses, soit 18
milliards par an. Et 5.000 chômeurs en moins!».
Les banques ne veulent pas prendre de risques avec une activité qu’elles ne
connaissent pas
«C’est simple: les banques ne veulent pas nous financer, note un directeur de
centre. On est obligés d’avancer l’argent en fonds propres! Mais on ne peut pas
leur en vouloir puisqu’elles ne savent pas ce qu’est un centre d’appel, donc
elles ne veulent pas prendre de risques. C’est à l’Etat de communiquer sur ce
business, encore relativement nouveau».
Et vite. Car toujours d’après l’ARPT, le chiffre d’affaires de ce marché en
Algérie était estimé à 12 millions d’euros en 2009. Au Maroc, le chiffre
d’affaires réalisé par le secteur serait de 340 millions d’euros. En Tunisie, il
est de 158 millions d’euros. Restera ensuite à résoudre un autre problème: le
rapatriement des devises. Car pour ces centres d’appels qui, pour la plupart,
exportent les services, c’est un vrai problème. «Nous avons des frais à
l’étranger, souligne un professionnel du secteur. Et à l’heure actuelle, il nous
est impossible de garder ces devises, toutes converties en dinars».
L’Etat n’aide pas les privés, contrairement au Maroc et à la Tunisie
«Si les centres d’appel se sont bien développés chez nos voisins, c’est parce
qu’ils ont le soutien de l’Etat, explique un actionnaire. Ce dernier a compris
qu’un call center était créateur d’emplois et de richesses et permettait
d’exporter des services.» Et pourtant… Avec tous ses diplômés et l’explosion de
son secteur tertiaire, le Maroc ne créé plus autant d’emplois. «L’Algérie
présente un autre avantage de taille, affirme Salah Eddine Guename, qui a
participé à l’ouverture du premier call center à Constantine (Worktel) en 2006.
Aujourd’hui, notre pays est le plus francophone de tous ceux où les centres
d’appels sont implantés! Contrairement aux Marocains ou aux Sénégalais, les
Algériens ont très peu d’accent. Il y a peu, un des plus gros opérateurs
français installé au Maroc a recruté… 300 jeunes Algériens!».
Malgré un marché saturé, le Maroc met encore les moyens en supportant à hauteur
de 30 à 40% des charges de l’entreprise. «En Tunisie, toutes les formations sont
prises en charge, poursuit un autre directeur de centre d’appels. Moi, si je
veux envoyer un technicien se former chez Microsoft, je dois payer la formation
continue, et je peux vous assurer que ça me coûte très cher…». Un autre
professionnel du secteur témoigne: «Au dernier SECA, un des plus gros salons des
centres d’appels, les pavillons marocain et tunisien regroupaient chacun une
dizaine d’entreprises. Nous, Algériens, étions deux. Chacun à un bout du
salon…».
Fin novembre, l’ARPT a modifié et complété le cahier des charges fixant les
clauses particulières à la création et à l’exploitation des centres d’appels.
Son objectif: mettre de l’ordre dans le secteur. «Nous avons beaucoup assoupli
les procédures, nous explique-t-on à l’ARPT, et baissé le prix de la redevance,
qui ne coûte plus que 10.000 DA». Un directeur de call center reconnaît: «C’est
vrai, des progrès ont été faits sur l’agrément. Avant, il fallait compter
jusqu’à un an pour l’obtenir. Aujourd’hui, en trois à six mois, c’est possible.
Mais ça reste quand même lourd quand on sait qu’au Maroc, en une semaine, un
entrepreneur obtient son sésame…».
Les communications sont mauvaises ou coûtent trop chères
«Demander à Algérie Télécom une ligne spécialisée pour une qualité optimum de la
voix coûte aujourd’hui 9.000 euros par mois, constate Salah Eddine Guename. Nous
n’avons absolument pas les moyens de nous le payer car cela ferait grimper le
tarif à la minute que nous facturons à nos clients. De 7 euros l’heure, nous
devrions passer à 15 euros! Nous ne serions plus du tout compétitifs…». Seule
alternative pour les entreprises: le lien Internet avec la qualité et la
régularité du débit qui vont avec…
Autre problème: le prix des communications en local. «Appeler de l’Algérie vers
la France sur un fixe coûte environ 1,1 DA la minute, pendant qu’un appel en
local nous coûte… 5 DA la minute, soit quatre fois plus cher! Au mois, cela
revient à environ 30.000 DA de charge pour 200 minutes par jour alors qu’en off
shore, la facture n’est que de 80 euros par mois…».
En clair: pour inciter les donneurs d’ordre à développer le télémarketing, à
Algérie Télécom de revoir ses tarifs en local à la baisse. «Car par ailleurs, le
prix de la communication en Algérie est un des plus compétitifs, souligne Salah
Eddine Guename. On peut descendre nos tarifs jusqu’à 7 euros de l’heure. C’est
plus que Madagascar et l’Île Maurice mais bien moins que chez nos concurrents
directs, au Maroc, ils sont à 12 euros, en Tunisie, à 9 ou 10 euros!»