Le paysage bancaire et financier tunisien n’est pas encore familiarisé avec les produits dérivés. Alors que certains les ignorent encore, d’autres les évitent en les critiquant pour leur rôle dans la crise. Il est évident qu’en Tunisie nous n’avons pas besoin d’une libéralisation tout azimut de recours à ces produits mais il est évident aussi que quand ces mêmes produits peuvent garantir la survie d’une entreprise, des questions peuvent se poser quant à leur utilité.
L’histoire financière nous enseigne d’ailleurs que l’essor de ce type de produits dans une place financière précise coïncide souvent avec les périodes des fortes volatilités et fluctuation des cours.
C’est le cas de matières premières, élément important dans notre pays en croissance permanente et dont les besoins en matières premières ne cessent de s’accroître.
Depuis plusieurs années, les matières premières connaissent une volatilité croissante de leurs prix imposant un risque réel sur l’activité des entreprises tunisiennes. L’objectif de cet article est de mettre la lumière sur l’existence de ce besoin de couverture en Tunisie et apporter des propositions concrètes.
1) Lacunes de la situation actuelle
L’ensemble du marché des matières premières a connu une hausse des prix.
En 2002, les prix du zinc affichaient une moyenne de 779 dollars pour la tonne. En décembre 2010 la tonne de zinc était de 2390 dollars. La tonne du cuivre est montée jusqu’à 8750 dollars en début décembre 2010. Le seuil de 11.000 dollars la tonne en 2013 selon les experts. La tonne d’aluminium se traitait autour de 2.320 dollars en début décembre, quant au plomb, la tonne était de 2.350 dollars.
Ces prix sont bien évidemment poussés vers la hausse par un retour de la croissance mondiale après la crise. Les projets d’infrastructure et de construction financés avec les milliards engagés par les pays industrialisés ou émergents, comme la Chine et l’Inde, pour relancer l’économie ont dopé la demande en matières premières. Les prévisions pour 2011 maintiennent l’Asie comme région avec le taux de croissance le plus élevé. La Chine, l’Inde, l’Indonésie et le Viêtnam seront les vedettes de la croissance mondiale. On peut rajouter la Turquie, déjà en excellente position en 2010.
Le Fonds monétaire international (FMI) a déjà publié son rapport périodique sur “les perspectives de l’économie mondiale”. Dans ses projections, il prévoit que la Tunisie poursuivra une croissance du PIB réel de 4,8% en 2011 et 5,8% en 2015.
La demande sur les matières premières ne cessera d’augmenter et les fluctuations des prix seront une donnée économique importante à prendre en considération. Le marché des matières premières attise les convoitises: les gros consommateurs se couvrent systématiquement contre les fluctuations de prix et augmentent la volatilité. Les gérants de fortune retrouvent dans les matières premières des valeurs de refuge notamment grâce à la forte hausse des rendements et la raréfaction des ressources. Par ailleurs, les courtiers, guidés par leur instinct de spéculation, n’hésitent pas à jeter leur dévolu sur ces marchés afin de profiter de la volatilité extrêmement forte et réaliser ainsi des profits très importants.
La raréfaction croissante des ressources et le fait que plusieurs matières premières sont importés de régions ou de pays politiquement instable (grève dans la mine de Collahuasi au Chili produisant 3% du cuivre mondial) ajouteront à la complexité du marché et le rendront plus difficile et volatile pour tous, surtout pour les acheteurs.
Il est important donc pour les entreprises tunisiennes consommatrices de matières premières (cuivre, zinc, aluminium, plomb) de gérer et de la manière la plus précise ce risque.
L’incertitude accompagnant les prix d’approvisionnement en matières premières sur le marché mondial engendre une incertitude dans la planification des coûts et des résultats. Au sein des directions de nos entreprises, le risque de fluctuation des prix des matières premières doit être pris au sérieux au risque d’enregistrer des fortes pertes. Une gestion active des risques liés aux matières premières doit être l’une des priorités des entreprises consommatrices de matières premières.
Tous les risques et paramètres essentiels doivent être identifiés, il faut chiffrer a priori et a posteriori les risques autrement dit les effets des fluctuations de prix sur les recettes de ventes.
Une entreprise dépendant de matières premières doit piloter le risque encouru sous une forme ou sous une autre. Pour cela, il faut commencer par recenser et évaluer systématiquement les risques financiers, qui comprennent non seulement le crédit et les liquidités, mais aussi le risque de marché dans lequel figurent les matières premières.
Prenons l’exemple d’une entreprise qui consomme du Nickel comme matière première pour sa production, son prix a augmenté de 30% en 2010. Rajoutons une dose pour le risque de défaillance du partenaire (difficultés de paiement, faillite) et une autre pour le risque de change avec une fluctuation du prix du dollar pour l’achat du Nickel sur le marché international ; nous obtenons là un mélange explosif pour cette entreprise et une absence de contrôle totale sur les coûts et les marges.
La volatilité des prix n’est pas donc sans implication pour les entreprises produisant, commercialisant et transformant les matières premières.
Les entreprises tunisiennes grosses consommatrices de matières premières devraient s’assurer qu’elles disposent de systèmes de couverture, fondés sur une stratégie bien définie. Une bonne gestion des risques liés aux matières premières garantirait à nos entreprises non seulement leur survie et leur compétitivité, mais aussi la fiabilité de leur planification. Une bonne gestion qui ferait du bien tant aux actionnaires qu’à l’économie tunisienne en général.
On recense trois attitudes managériales face aux risques:
− La neutralité/ Négligence. L’entreprise n’accorde pas d’importance à ces risques et de leurs conséquences.
− L’anticipation. L’entreprise pratique une gestion anticipatrice pour couvrir les risques reconnus le plus tôt possible,
− L’attrait/La spéculation: L’entreprise maîtrise bien ce risque et va jusqu’à en profiter en prenant des risques et spéculant afin d’améliorer les résultats.
Quelle est l’attitude adoptée par nos entreprises tunisiennes?
La spéculation étant interdite, nous écartons donc la troisième attitude. Nos entreprises pratiquent-elles la gestion anticipatrice? Non. Tout simplement parce que la réglementation tunisienne, notamment celle de la Banque centrale ou du ministère des Finances, ne traite nulle part du risque de fluctuation des prix des matières premières. On constate donc que généralement nos entreprises préfèrent ignorer ce risque et ne pas le prendre en considération au risque d’enregistrer des grosses pertes.
2) Propositions
L’absence d’une réglementation sur la couverture contre le risque de fluctuation des prix des matières premières est un handicap tant pour les entreprises qui ne possèdent pas d’instruments réglementaires de couverture que pour les banques qui perdent là un élément principal dans l’offre de services à leur clientèle entreprise. Les salles de marché de nos banques peuvent être dynamisées par l’introduction de ces produits commercialisés pour les importateurs et exportateurs de matières premières.
Le Maroc s’est doté d’une telle réglementation depuis 2004 à travers la Circulaire de l’Office des changes marocain n°1699 du 13 janvier 2004 relative à la couverture contre le risque de fluctuation des prix de certains produits de base complétée par la Circulaire de Bank Al-Maghrib n°8/DTGR/04 du 16 janvier 2004.
En Tunisie, il existe un vrai besoin urgent d’une circulaire simple et précise autorisant ce type de couverture contre le risque de fluctuation des prix des matières premières. Les matières premières doivent être définies dans le sens large couvrant ainsi Ce sont certainement les instruments les plus simples qui peuvent être les plus efficaces. La variante la plus ordinaire est l’opération à terme qui consiste à convenir d’un prix fixe pour une livraison datée à l’avance. Dans cette opération, il y a livraison physique de la matière première.
Si une livraison physique n’est pas possible ou judicieuse, on peut recourir à une opération à terme dérivée, avec règlement en monnaie. À l’échéance, il n’y a pas de livraison physique, mais un règlement compensatoire résultant de la différence de prix entre la couverture et le prix du marché du jour. Selon qu’il soit supérieur ou inférieur au prix fixe convenu, l’entreprise reçoit ou paie la différence à l’autre partie. En combinant l’opération à terme dérivée avec la vente ou l’achat d’une matière première au prix du marché, l’entreprise obtient un prix fixe, puisque ceux de la couverture et de l’opération de base évoluent en sens contraire.
Une autre possibilité de couverture est l’option. Le prix maximal payé est fixé, mais l’entreprise peut profiter de la baisse des prix: comme l’option n’est pas exercée en cas de chute des prix, on achètera à meilleur compte sur le marché. Les options sur les matières premières ont un inconvénient: la forte prime qu’il faut verser à l’achat.
Négocié dans le cadre des marchés de gré à gré, le contrat d’échange «swap» est l’instrument le plus utilisé par les opérateurs pour se couvrir contre le risque de prix à long terme. Dans un swap de matières premières (Commodity Swap), l’un des deux co-contractants s’engage à verser, pendant une certaine période et à intervalles réguliers, un prix « spot » qui est par nature variable et à recevoir un prix fixe ; le second co-contractant s’engage lui, à recevoir le prix variable et à verser le prix fixe. Son dénouement se fait par versements monétaires et non par livraison physique.
Quant aux modalités pratiques, l’entreprise tunisienne pourra soit choisir de se couvrir en ayant recours aux services d’une banque locale soit recourir au marché international où les différentes banques offrent ce genre de couverture. Etant donné le manque d’expérience des entreprises sur le marché international de couverture contre le risque, il serait bien évidemment judicieux au début d’obliger les entreprises à passer par un intermédiaire agréé c’est-à-dire une banque tunisienne.
Dans le premier cas de recours au marché local, la relation sera documentée à travers un contrat-cadre local propre à la place de Tunis (Voir notre article : Lacunes de la législation tunisienne actuelle sur les produits de couverture contre le risque 3). Dans le deuxième cas, la documentation se fera à travers un contrat-cadre ISDA signé sous une forme de contrat d’agence (Agency Agreement) signé entre la banque internationale et la banque tunisienne agissant au nom et pour le compte de l’entreprise tunisienne. Bien évidemment, les banques tunisiennes traceront d’une manière indépendante et précise les opérations pour le compte de leur client local et la Banque centrale de Tunisie exercer