S’il est un mérite qui revient à la chaîne maghrébine Nessma, dans le débat diffusé jeudi 30 décembre, c’est d’avoir étalé la problématique -au-delà des événements de Sidi Bouzid- relative au rôle des médias et leur responsabilité en situation de crise. Mais seulement. Il est indéniable que l’on a absolument besoin des médias pour témoigner de la réalité des choses. Ces médias qui doivent respecter leur métier et assurer leur mission et leur rôle de courroie de transmission de l’information entre le terrain et le large public surtout lorsqu’il s’agit de faits qui le touchent de près, à l’instar de ce qui s’est passé ces jours-ci.
Le témoignage de l’un des jeunes natifs de Sidi Bouzid dans le reportage diffusé sur Nessma est plus que révélateur. «Pourquoi notre télévision publique ne parle-t-elle pas de nous? Pourquoi est-ce qu’elle ne transmet pas notre voix, pourtant nous payons nos taxes…».
Ce qui nous amène à parler de la responsabilité de la télévision publique dans la gestion et la diffusion des informations. Si nous partons du principe qu’elle appartient à l’ensemble du peuple tunisien, il est un fait qu’elle se doit d’être au su et au vu de tout ce qui peut le toucher et le concerner et qu’elle doit exprimer ses préoccupations et refléter ses tracas. C’est ce qu’on appelle journalisme de proximité.
Salwa Charfi, universitaire et enseignante à l’Institut de Presse, l’a clairement exprimé dans le débat. «Si nous continuons à considérer les médias “traditionnels“ comme étant les seuls véritables porte-paroles du pays et du peuple, eh bien nous nous gourons tous, car c’est comme si nous nous mettions à nu; le peuple dispose aujourd’hui de ses propres moyens pour accéder à l’information».
Dans toutes les situations, notamment quant il s’agit de crise comme celle que nous venons de vivre, les citoyens ont la capacité de porter à la connaissance du grand public les violations de droits, les infractions à la loi et nombre d’exactions par la voix et la photo. On le constate tous les jours. Ce qui peut être parfois dangereux car nous laissons libre cours pour l’interprétation des faits aux humeurs et aux penchants de personnes parfois dénuées de tous sens de la mesure et surtout ne possédant pas les outils et la formation dont disposent les journalistes professionnels pour juger de la situation en toute objectivité. Ces derniers, rappelons-le, ne sont plus les seuls à décrire le monde qui les entoure.
Le débat tenu sur Nessma était inhabituel dans des médias qui nous ont habitués à user d’audace et de franchise, seulement lorsqu’il s’agit de questions d’ordre social ou des émissions telles que «Il Hak maak» ou «andi ma Nkollik» et d’autres qui n’abordent pas les problèmes de fond de notre société et de notre pays et qui le font plus pour des considérations commerciales qu’autre chose.
Les thématiques évoquées hier se rapportant à l’importance de la levée de la censure sur les médias nationaux, à la nécessité de mettre en place des organes de contrôle efficace et de mettre fin à l’impunité de certains responsables qui se soucient plus de leurs postes que de servir les citoyens sont venus rompre avec une langue de bois que tout le monde tient et dénonce en même temps. Preuve du gap qui existe entre ce que nous voulons être et ce que nous sommes dans la réalité.
Il est vrai que nos médias ont toujours l’impression de marcher sur une corde raide, tant la peur de tomber sous la coupe de l’un des articles du code de la presse ou d’être écartés par leurs supérieurs –comme c’est souvent le cas- est persistante. Mais il est de l’intérêt de tous ceux auxquels l’avenir de la Tunisie importe aujourd’hui de savoir et d’être convaincus du fait que les journalistes tunisiens aiment leur pays et se soucient de sa paix et de sa sécurité. Il n’y a pas meilleurs défenseurs de l’image de leur pays et de ses réalisations à l’intérieur comme à l’extérieur qu’eux-mêmes. La plupart d’entre eux n’appartiennent à aucun parti, sinon celui qui s’appelle “Tunisie“.
D’où l’importance d’encourager l’initiative prise par la télévision Nessma, et qui plus est les intervenants de qualité ont mis les doigts sur la plaie. «Lorsqu’on ne trouve pas de voix pour transmettre nos souffrances, les risques de débordements doivent être pris très au sérieux».
Il ne s’agit pas également de faire le procès de la télévision ou des médias publics, ils sont ce qu’on a voulu en faire. En voulant en faire ce qu’ils sont devenus aujourd’hui, ils ont perdu leur crédibilité, failli à leur devoir, et sont devenus incapables de communiquer en confiance avec le peuple. Le plus grave est qu’on ne les croit pas même quand ils diffusent des informations justes et véridiques.
Les temps sont aujourd’hui à la refonte du paysage médiatique du pays, parce que c’est comme cela et seulement comme cela que nous pouvons rayonner à l’intérieur comme à l’extérieur de notre aire géographique.
Comme on le dit si bien à l’UNESCO, pour faire avancer la société, il est primordial que le cadre de fonctionnement des médias soit basé sur un corpus de valeurs qui se reflètent dans le droit à la communication qui doit être exercé dans le respect de l’éthique journalistique, de l’intelligence des publics cibles et le développement des nouveaux modes de transmission de l’information.