Les automobilistes qui passent en trombe à longueur de journée sur le Boulevard 9 Avril ne soupçonnent peut-être pas ce qui se passent derrière les murs du plus grand de services d’urgence de la Tunisie qui ne ferme pas l’œil de toute la nuit en recevant à un rythme fou tous les bobos graves et moins graves de la capitale. Les urgentistes de l’hôpital Charles Nicole nous sauvent la vie mille fois par jour, nous leur devons un salut en racontant une journée chez eux!
La fille pleurait toutes ses larmes et sa mère n’était pas du reste. On se demandait si elle n’a pas été une VV (à savoir Victime de Violence, une des populations les plus fréquentes aux urgences) bien quelle soit plutôt jeune! Tout le monde se rue vers la nouvelle arrivée pour constater que la fille souffre d’une douleur interne aux reins, ce qui a affolé sa mère. Le médecin de santé est catégorique, c’est une appendicite et elle appelle illico les brancardiers pour la transporter vers le service gastro.
L’admission aux urgences vient de partout et le flux commence des fois tôt le matin à 7H00 quand l’équipe du soir se prépare à partir, si elle le peut. Les ambulanciers, les forces de l’ordre, les autres hôpitaux, les taxis et les voitures particulières se rue sur le couloir de 4 mètres devant l’entrée des urgences. Les admis peuvent bien se présenter eux-mêmes affolés d’une blessure, d’une crise de respiration ou d’autres causes, mais le plus souvent on vient aux urgences accompagnés d’un parent, d’un ami ou d’autres personnes.
Le personnel aux urgences est féminin, les infermières détenant la majorité. On en trouve de toutes les couleurs de blouses qui sont généralement blanches bien sûr! Il y a évidemment les chefs de rang, les infirmières en chef si on peut dire, mais il y a également les autres qui assurent le service avec toutes ses variantes, de la piqure à la prise du sang, à l’administration des médicaments, ou encore à la consolation avec un bon mot et des sourires. Il y a des infirmières sévères et dures, il y a de plus souples et plus prévenantes. Il y a des titulaires, des stagiaires, des nouvellement recrutées et de fin de carrières solides.
C’est pour ça que le mal est vite repéré en urgences. Si, en plus, c’est un interne, jeune et beau. Nous voilà tout de suite dans une de ses séries américaines en vogue, ER, GREY, etc. Mais il y a aussi des infirmiers, des brancardiers, des gardiens, des administratifs aux urgences qui font aussi tourner la machine avec leurs consœurs.
Les morts s’invitent souvent Boulevard 9 Avril aux urgences et le personnel ne se fait pas prier pour en parler. «Des morts j’en vois tous les jours! J’ai pris l’habitude, raconte Faouzi, infirmier, de bien les traiter. Je vérifie, après l’avis du médecin, le corps pour bien le positionner sur le brancard, je fouille ses poches pour sortir tout ce qui lui appartient afin de livrer à la famille. Bien sûr au début de ma carrière, je n’osais même pas regarder le corps d’un mort, mais on apprend…!»
La caste supérieure aux urgences est bien sûr représentée par les médecins. Qu’ils soient des internes -les plus nombreux-, des résidants, ou des médecins confirmés qu’on appelle pour telle ou telle intervention en urgence, ils sont toujours entourés d’une nuée d’infermières et des autres corps du métier. Ils ont l’art de se faire désirer et d’être toujours pressés, ce qui ajoute plus de nervosité à l’atmosphère déjà électrisée par le rythme des admissions et le nombre des interventions.
Plus on avance dans la journée plus le nombre des interventions s’accroit et les choses se compliquent. Des brancards sont à la queue leu leu dans le couloir, la Grande Salle est pleine, la salle de «chocage» aussi (salle ou on choque les malades pour les faire revenir près de nous!). Le surveillant général est débordé et on l’appelle de partout. Il a sur les bras deux cadavres et cinq personnes qui subissent des interventions sur des brancards… Il faut qu’il arrive rapidement à désengager au moins le couloir pour le cas où d’autres personnes arrivent. Les brancardiers sont en nombre insuffisants et les autres services de l’hôpital mettent des fois entre une et deux heures d’attente pour recevoir un malade. Et voilà l’embouteillage!
L’infermière de la salle de chocage sourit et respire un grand coup en s’adossant au mur. Elle vient de se libérer d’une vieille femme diabétique qu’elle a réussi à caser au service adéquat et elle peut enfin se consacrer à ses autres malades en attente.
Rien qu’un mort qui attend qu’on s’occupe une dernière fois de lui, deux malades du cœur en observation permanente après avoir pris les médicaments, un VV qui risque de perdre son oreille qu’un agresseur à sectionner à l’aide d’une lame avant de lézarder ses deux bras sur toute leur longueur… et un monsieur agonisant que plusieurs interventions des médecins n’ont pas réussi à sauver. La joie pour toute la soirée garantie!
Avec un grand sourire, elle appelle les deux stagiaires qui sont avec elle en service et elle commence par l’oreille coupée. Pour les autres on verra plus tard!