Il est difficile pour les Occidentaux, habitués depuis des siècles au rôle du maître des flots et des vents, d’admettre qu’ils ont perdu le monopole de la puissance. Qu’ils ne sont qu’un milliard d’habitants sur 6 milliards et demi. Que des pays, autrefois pauvres et objet d’aide et de compassion, deviennent, si vite, des dragons économiques menaçants. Frustrant les riches. Du bonheur d’aider. Annonçant une redistribution des cartes de la globalisation. D’ailleurs, selon la Banque asiatique de développement, «le relais est passé de l’Ouest à l’Est», reconnaissait Donald Tsang, chef de l’exécutif de la Région administrative spéciale (RAS) de Hongkong, à l’ouverture de l’Asian Financial Forum. Et d’ajouter: «A nous maintenant de nous organiser entre concurrence et coopération».
Depuis plus d’une décennie, les pays asiatiques coopèrent étroitement. Seuls. De l’Occident, des Etats-Unis et de l’Europe, pas un mot. Il s’agit là, insistent des stratégistes, d’un glissement tectonique de la puissance vers l’Asie et les émergents. L’Alliance Atlantique n’a plus le monopole de la conduite des affaires du monde. De la définition des problèmes. De leur hiérarchisation. Et des mots qu’on emploie pour les traiter. L’universalisme occidental, bien intentionné et sûr de lui, a bien vécu. Des identités batailleuses relèvent la tête. Un peu partout. Le monde va rester dur. Brutal. Ultra concurrentiel. Ultra compétitif.
Au fait, l’Asie, qui se remet très vite des crises (1987, 1998, 2008) et se dit prête à assumer le nouvel ordre économique, dirige actuellement la reprise de l’économie mondiale. Avec une croissance moyenne, tous pays confondus, de l’ordre de 7%. La région pense qu’elle n’a plus de leçons à prendre. L’Asean+3, alliance économique passée entre la Chine, la Corée du Sud, le Japon et les dix pays de l’Association des nations du sud-est, concrétise l’idée d’un nouveau pôle de croissance au cœur du monde de la géopolitique réelle, avec ses rapports de force, ses luttes d’influence.
Désormais, indique Hubert Védrine, dans son dernier ouvrage «Le temps des chimères», 50% de la richesse mondiale sont produits hors d’Occident. Et cela, conclut l’ancien locataire du Quai d’Orsay, aura des conséquences politiques à l’échelle planétaire. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international (FMI), reconnaît, dans ses interventions publiques, que le monde a «beaucoup à apprendre des idées et de l’expérience de l’Asie». De son côté, affirme Michael Smith, directeur exécutif de l’Australia and New-Zeland Banking Group, il est désormais inutile de se poser la question de savoir s’il faut investir en Asie. Il faut se demander «si l’on peut s’en passer».
La Chine qui pèse et soupèse
La décision de Pékin d’autoriser, depuis juillet 2009, un certain nombre de transactions avec Hongkong, Macao et les pays de l’Asean en yuan, monnaie chinoise non convertible, symbolise la volonté de l’Empire du Milieu de prendre ses distances vis-à-vis du dollar américain, de tester l’internationalisation de ses billets de banque et de s’affirmer dans un monde où l’influence s’exerce de la mode jusqu’aux porte-avions.
«Nous voulons nous donner les moyens de lever par nous-mêmes les fonds dont nous en avons besoin», a récemment déclaré le ministre des Finances thaïlandais, lors de la réunion des pays de l’Asean. Un appel à peine voilé à la création d’un Fonds monétaire asiatique. Au resserrement des rangs. Une manière plus radicale pour ne rien devoir à l’Occident.
Pour le FMI, si la croissance mondiale pour 2010 sera de l’ordre de 3,9%, au lieu de 3,1% prévue précédemment, c’est en grande partie grâce à la locomotive des émergents de la région asiatique. Le PIB de la Chine serait en hausse à hauteur de 10% pour 2010, ce qui devrait permettre à l’Asie -hors Japon- de croître de 7% en moyenne.
D’après certaines agences de notation, les perspectives sont moins brillantes aux Etats-Unis d’Amérique et en Europe où la reprise reste dépendante des aides publiques. Finalement, la Banque mondiale prévoit, en 2010, 1% de croissance pour la zone euro et 2,5% pour l’Oncle Sam, ce qui doit pousser les Occidentaux, conclut Hubert Védrine, dans son ouvrage, à repenser l’ensemble de leurs relations et de leurs stratégies avec chaque futur pôle du monde de demain comme avec tous les pays émergents, grands ou petits.
A bon entendeur… salut!