Le département de l’agriculture vient d’entamer, avec le concours de la Banque mondiale, une étude sur le financement du secteur agricole. Il s’agit de mettre au point de nouveaux instruments de financement du secteur agricole. L’objectif est de disposer, dorénavant, de mécanismes de financement adaptés aux changements climatiques et technologiques.
Les résultats de cette étude sont très attendus au regard de l’aggravation de l’endettement des agriculteurs, particulièrement des petits qui représentent 80% du total des exploitants.
L’endettement est retenu par l’ensemble des observateurs et analystes de l’agriculture tunisienne comme une menace majeure pour la pérennité des agriculteurs. Le nombre des agriculteurs, comme partout dans le monde d’ailleurs, ne cesse de baisser. Il faudrait ajouter à cette insuffisance la tendance des jeunes à fuir le travail de la terre qu’ils estiment, souvent à tort, dévalorisant.
A l’origine de cet endettement, les spécialistes citent la sécheresse, les autres catastrophes naturelles et l’absence d’encadrement et d’orientation.
Par les chiffres, le volume des dettes agricoles auprès des banques s’élève à 1.760 MDT, soit 5,6% du total de l’endettement de tous les secteurs. Quelque 120 mille agriculteurs (23% du total des agriculteurs) sont concernés. Cette dette est contractée auprès de la Banque nationale agricole (BNA) à hauteur de 1.000 MDT dont 729 MDT sont venus à échéance. Ce montant est réparti en 274 MDT (principal), 290 MDT (intérêt) et 165 MDT (crédit litigieux).
Face à cette situation, les pouvoirs publics n’ont pas cessé d’apporter aux agriculteurs aide et assistance. Ainsi, les micro- crédits accordés aux petits exploitants agricoles ont été abandonnés à deux reprises, en 1989 et en 2000. Plus de 200 mille agriculteurs ont bénéficié de cette mesure.
Par ailleurs, les dettes agricoles ont été rééchelonnées une dizaine de fois dont six échelonnements ont profité aux céréaliers.
Par delà ces données, nous ne nous pouvons nous empêcher de signaler que la Banque mondiale a déjà effectué, il y a quatre ans, une étude sur le secteur. Les recommandations de cette étude sont toujours d’actualité. Conséquence: globalement, selon cette étude, l’agriculture tunisienne souffre de plusieurs incohérences structurelles majeures et a besoin d’une nouvelle génération de réformes pour s’adapter aux réalités économiques actuelles. En voici les principales conclusions.
Concrètement, le développement de ce secteur peut être entravé sérieusement, comme le souligne l’étude, par la sous-réalisation de son potentiel, par la contre-productivité de la politique de compensation des prix de ses produits et par une sous-valorisation de produits bio de grande qualité comme l’huile d’olive, les agrumes, les dattes et le vin exportés, en vrac et dans l’anonymat le plus total, comme de vulgaires produits et breuvages.
Cette étude, qui était commanditée par le gouvernement tunisien, estime qu’«une grande part de la réussite de l’agriculture se doit aux sacrifices du consommateur et du contribuable tunisien».
Elle ajoute que «la protection commerciale maintient les prix alimentaires à un niveau très élevé et équivaut à une augmentation de 4% du coût de la vie».
Toujours selon l’étude, «les contribuables doivent payer 170 millions de dinars par an pour la compensation des prix, dont la plupart sont destinés aux agriculteurs ayant de grosses exploitations. Conséquence: il en coûte quatre fois le PIB par habitant pour préserver un emploi dans les cultures céréalières au moyen de la protection des échanges et du soutien des prix».
L’étude est encore plus sévère quand elle relève que «la croissance du secteur agricole est faussée. Elle ne suivrait pas la compétitivité. 40% de la croissance agricole se rapportent à des produits qui coûtent plus cher à produire qu’à importer, ce qui signifie une perte nette pour l’économie».
L’étude de la Banque mondiale recommande à la Tunisie d’entreprendre deux réformes structurantes pour tirer le meilleur profit du secteur agricole.
La première réforme consisterait à entreprendre des chantiers pour conférer l’efficience requise aux mécanismes de subventions qui doivent bénéficier aux catégories rurales les plus démunies.
Il s’agit aussi de baisser les tarifs sur les importations agricoles et de mettre fin aux contrôles des marges de détail, aux contrôles des prix semi-officiels et aux programmes ad hoc d’importations.
«Les réductions tarifaires des importations sont essentielles. Comment la Tunisie peut-elle respecter son quota d’agrumes avec l’UE quand les oranges coûtent autant à Tunis qu’à Londres? Comment la Tunisie peut-elle développer son industrie des conserves alimentaires quand, par exemple, les fabricants tunisiens de purée de tomates payent plus pour les tomates crues que leurs concurrents en Italie, en Espagne, au Portugal et en Turquie? Comment un marché peut-il travailler efficacement quand les prix sont tirés à la hausse par les tarifs au port et ensuite tirés à la baisse à nouveau par les «prix de référence» à l’entrepôt?», s’interroge l’étude.
La deuxième réforme consiste à responsabiliser les structures d’appui au secteur et aux agriculteurs.
L’étude propose de supprimer les monopoles tels que l’Office de blé, d’associer les professionnels à la gestion des services liés à l’agriculture (recherche, vulgarisation) et de transférer l’importation et la commercialisation des céréales aux privés, l’ultime but étant de faire en sorte que les structures d’appui et d’encadrement soient mieux réactives aux besoins des agriculteurs.
L’étude suggère globalement de relever les défis de la compétitivité, de l’emploi et la satisfaction des demandes de qualité. Il s’agit également de rajeunir la population des agriculteurs dont la plupart ont plus de 60 ans et sont en plus illettrés, et d’améliorer les conditions d’accès au financement bancaire.