Les performances économiques d’un pays se mesurent-elles à l’aune des chiffres ou des réalisations concrètes dont les fruits sont perceptibles sur le terrain?
«J’ai la nette impression que dans notre pays, nous nous sommes tellement convaincus de la justesse des chiffres que nous avons fini par faire perdre aux chiffres eux-mêmes leur crédibilité», a répondu un conseiller à l’export. Et pour preuve, nos stratégies de conquête de marchés voisins ou africains ne sont pas bien définies, ne suivent pas une stratégie claire et précise, et ne sont pas soumises à une évaluation conséquente. Par contre, nous pourrions citer le nombre de missions qui s’y sont rendues, le montant des fonds alloués pour participer aux manifestations internationales et le nombre d’opérateurs privés qui y ont participé. Les missions terminées, nous ne saurons plus rien…
Lorsque nous parlons, à titre d’exemple, de mise à niveau, ce qui ressort c’est le nombre d’entreprises qui en ont profité et les montants qui y ont été investis. Le bénéfice réel apporté à l’entreprise au niveau de la gestion, des progrès technologiques et de sa présence sur le marché national et international n’est pas vraiment visible.
A chaque manifestation internationale organisée dans notre pays, on nous sert l’exemple de Telnet, la grande conquérante. Cette entreprise a certainement du mérite mais est-elle la seule à s’être distinguée par un savoir-faire et une expertise hors normes?
Lorsque nous parlons innovation, même chose, nous entendons les hauts responsables nous citer les lignes de financement, chiffres à l’appui, et disserter sur les avantages de l’innovation et de son rôle dans la … création de l’emploi. Comme si le rôle de l’innovation était de mettre fin au chômage. Le terme innovation est présenté selon l’humeur du jour…Tantôt elle est un facteur important dans la création de nouveaux débouchés, tantôt elle est une condition indispensable de développement et une composante nécessaire à la croissance économique et aux performances technologiques…
Quelle gestion pour l’innovation?
En fait, avons-nous seulement une gestion publique conséquente de l’innovation?
Quelles sont nos politiques et stratégies en matière de Recherche-Développement ou de science et technologie? En un mot, l’innovation se limiterait-elle seulement au développement du produit ou touche-t-elle tout le process du management allant de la gestion des ressources humaines, infrastructures, équipements, relations avec clients et partenaires, climat d’affaire et tout le tralala?
Quelle est l’approche du ministère de l’Industrie et de la Technologie en matière d’innovation à par celle de gérer un budget et des lignes de financement?
Les industriels sont-ils informés du niveau d’évolution des recherches dans les établissements universitaires, tels l’ENIT à titre d’exemple?
A-t-on un jour organisé une grande manifestation à laquelle les opérateurs privés ont été conviés dans un campus universitaire pour les mettre au courant des dernières innovations et découvertes ou leur présenter une équipe de recherche qui travaille sur un projet innovant? Les opérateurs privés eux-mêmes, autant le reconnaître, ne se sont jamais hasardés -certains d’entre eux en tout cas- à faire montre de plus de curiosité qu’il n’en faut pour découvrir les travaux universitaires.
Pourrait-on expliquer cet état de fait par une mauvaise communication entre opérateurs publics et privés, Etat et entrepreneuriat? Méconnaissance du marché et de ses besoins de la part des décideurs publics?
Il ne s’agit pas de brandir des chiffres sur le nombre des entreprises qui ont bénéficié de la mise à niveau ou celles qui peuvent recourir au soutien de l’Etat pour financer leurs projets d’innovation. Il importe de mettre en place un comité d’évaluation composé des représentants des secteurs privés et publics pour s’assurer de la justesse de la démarche entreprise par les bénéficiaires tant au niveau de la mise en place des programmes que de l’acquisition des équipements. «Nous avons parfois l’impression que c’est plus un jonglage de dossiers qu’autre chose. Nous entendons parfois parler d’entreprises qui profitent d’aides financières publiques sans que la nécessité existe», assure un expert.
Entendons-nous bien, il est de la plus haute importance de mettre en place une stratégie de développement qui associerait Etat et privés dans une seule entreprise, celle de stimuler l’innovation et d’asseoir une économie compétitive, encore faut-il que la politique scientifique et technologique du pays soit axée sur des finalités précises et ne se limite pas aux effets d’annonces.
Quelle est la mission de l’Etat dans la mise en place d’une stratégie économique innovatrice réussie? Doit-il se limiter au rôle de bailleur de fonds distribuant les subventions? De policier régulant le marché et contrôlant le respect des réglementations? Ou être lui-même pro-actif, entrepreneur et investisseur? Dans un pays comme le nôtre, il est capital aujourd’hui d’avoir une politique claire et active en matière d’acquisition de la technologie. C’est ce qui nous permettra de satisfaire une des conditions de l’innovation telle que définie par l’OCDE: «Par innovation technologique de procédé, on entend la mise au point ou l’adoption de méthodes de production ou de distribution nouvelles ou notablement améliorées. Elle peut faire intervenir des changements affectant –séparément ou simultanément– les matériels, les ressources humaines ou les méthodes de travail».
En économie, on n’improvise pas. Un saupoudrage de subventions sans aucune rationalité économique et en l’absence de toute évaluation ne servirait qu’à retarder le jour du jugement dernier… Ne dit-on pas qu’on peut faire dire aux chiffres tout ce qu’on veut!