La Tunisie dispose-t-elle d’une réelle stratégie ou politique commerciale africaine à l’instar d’autres pays? La question mérite d’être posée et ne constitue pas une hypothèse de travail. En effet, exceptées de deux ou trois lignes aériennes directes –Tunis-Nouakchott, Tunis-Abidjan via Bamako et Tunis-Dakar-, il n’existe aucune autre liaison aérienne, ni de liaison portuaire directe, encore moins terrestre du reste entre notre pays et les pays d’Afrique subsaharienne où il existe un vrai gisement d’opportunités pour les entreprises tunisiennes, donc pour l’économie de notre pays.
Toujours au chapitre de carences, on citera également le nombre limité de nos représentations diplomatiques sur le continent africain, seules seules quelques capitales sont couvertes… Sans oublier l’absence de visites officielles pour nos dirigeants politiques en Afrique. Quand on sait que la diplomation a, au cours des dernières années, enlevé son costume politique pour revêtir celui économique, on est en droit de nous demander si l’Afrique subsaharienne nous intéresse-t-elle vraiment. Et si c’est le cas, il y a de quoi s’inquiéter, au moment même où toutes les puissances économiques mondiales -y compris les pays émergents- se bousculent au portillon africain.
Prenons le cas de notre compagnie nationale, Tunisair, qui a promis l’ouverture de nouvelles lignes aériennes depuis plusieurs années en direction de l’Afrique, dont celle Tunis-Douala au Cameroun ou Tunis-Ouagadougou au Burkina Faso, et ce d’après l’affirmation de son président-directeur général à l’hebdomadaire Jeune Afrique publié il y a 15 jours. Mais on reste toujours dans l’effet d’annonce. Seulement voilà, au même moment, la compagnie marocaine RAM -encore et toujours le Maroc- ouvre chaque année 2 nouvelles lignes sur l’Afrique, transformant l’aéroport de Casa en un vrai hub, nécessitant même son extension en cours actuellement pour doubler sa capacité.
Chez nous par contre, on ne sait même pas ce que fait ou programme le nouvel aéroport d’Enfidha et quand est-ce qu’il prendra son envol.
Notons au passage que le programme du Famex et celui du Foprodex ont été conçus pour permettre aux entreprises tunisiennes d’exporter. Le Famex, dans sa 3ème version, qui sera lancée à partir d’avril 2011, cherche à propulser les sociétés de services sur l’orbite internationale, avec un objectif de porter leur valeur ajoutée contributive aux exportations de 26 a 30% en 2014. Il faut rappeler que le Famex a été lancé en 2000 suite à une étude qui a démontré que 80% des exportations tunisiennes se concentrent sur 4 marchés européens (France, Allemagne, Belgique et Italie).
Le Famex, dans sa première version 2000-2004, a soutenu 500 entreprises, pour un objectif initial de 350 entreprises famexées; Famex2 (2005-2010) a permis de mettre en œuvre 1.500 plans d’export. Sachant que 30% des entreprises famexées appartiennent au secteur des services (TIC, santé, formation, ingénierie et enseignement supérieur).
Mais à part le Famex, y a-t-il une stratégie de transport des hommes et des marchandises vers l’Afrique? Y a-t-il un plan africain de Tunisair pour l’Afrique? Et combien d’entreprises nationales s’exportent –ou exportent- vers l’Afrique?
Exceptée STEG International, constituée à 70% du captal par des operateurs privés et 30% pour la STEG, et qui exporte sur plusieurs marchés africains surtout au Rwanda dans le cadre d’un marché d’électrification rurale de 100 millions US $ (financé par la BAD); ou Tunisie Télécom avec une filiale en Mauritanie (Mattel), peu d’entreprises nationales ont franchi le pas de l’exportation vers le sud du Sahara.
Alors, où est l’ONAS, la SONEDE, La Poste? De l’avis de beaucoup d’experts, il est important de constituer des “pôles exportation“ dans une démarche de PPP (partenariat public/privé) associant un opérateur public d’envergure à hauteur de 30% du capital et un ou plusieurs opérateurs privés pour les 70% restants. Ces “pôles exportation” fonctionneront selon le modèle privé et s’appuieront sur l’expertise métier de chaque opérateur public pour constituer un pôle de compétences orienté métier.
Il ne faudrait pas perdre de vue que nos compétiteurs, eux, s’activent à développer toute une stratégie vers l’Afrique. L’Algérie, à titre d’exemple, serait en train de rétablir toutes les anciennes lignes aériennes vers l’Afrique mises en place dans les années 60 et 70 au nom du panafricanisme et abandonnées dans les années 80 et 90 au nom de la rentabilité. Le Maroc dispose du plus puissant réseau aérien régional qu’il ne cesse d’étendre chaque année via la RAM, qui démeure l’un des premiers transporteurs africains aujourd’hui. Ne parlons pas des groupes Maroc Télécom et Attijariwafa Bank, présents dans plusieurs pays du continent.
Dernièrement, et selon nos informations, le Maroc aurait mis en place une nouvelle stratégie commerciale qui semble porter ses fruits. En effet, le gouvernement marocain a organisé une longue mission de prospection qui aura duré 6 semaines. Suite à cette mission, le Royaume chérifien a affrété un avion de la Royale Air Maroc (RAM) pour faire successivement 6 pays africains, transportant 200 hommes et femmes d’affaires avec des marchandises et d’échantillons et restant toute une semaine dans chaque pays. Et figurez-vous bien, l’avion affrété reste immobilisé durant toute la semaine dans le pays visité pendant que la mission séjourne dans un hôtel avec une exposition-vente et prospection. En outre, chaque mission est précédée de 15 jours par une mission de 2 personnes du ministère du Commerce pour prospecter chaque marché.
Il est temps que les Tunisiens se réveillent et se mettent réellement au travail, si bien sûr nous voulons diminuer le chômage et booster nos jeunes vers l’Afrique, en les encourageant même à s’y installer, en créant si nécessaire des entreprises, sur le modèle qui a été favorisé par notre ambassade en Mauritanie, par exemple, laquelle, sur 10 ans, a contribué à faire passer le nombre des Tunisiens résidents dans ce pays de 50 à 3.000 personnes avec la création d’une cinquantaine d’entreprises ou d’affaires.
Un exemple à méditer et à suivre. Pas besoin d’inventer d’autres systèmes; nos ambassades doivent se muer en centres d’affaires et de business en lieu et place de centres de diplomatie ou de politique.